David H. Breen
Dans les ranchs, l'élevage se développe dans les régions où les caractéristiques climatiques et physiques combinées produisent des herbages naturels suffisants pour que le bétail, surtout des bovins mais aussi des moutons, paisse de façon relativement indépendante toute l'année. L'élevage débute à l'intérieur de la Colombie-Britannique à la fin des années 1850 et est favorisé par les marchés créés par les ruées vers l'or. Le bétail est amené de l'Ouest des États-Unis vers les régions abritées et clémentes de Cariboo et de Chilcotin, et dans les vallées des rivières Thompson et Nicola. L'élevage s'étend rapidement dans d'autres vallées de la Colombie-Britannique, dans les avant-monts des Rocheuses, puis finalement dans les Collines Cyprès et les plaines semi-arides du Sud-Est de l'Alberta et du Sud-Ouest de la Saskatchewan.
La région de l'avant-mont du Sud-Ouest de l'Alberta est le coeur de l'élevage à l'époque. Cette région demeure un centre de l'industrie contemporaine de l'élevage bovin. Grâce à ses vallées bien arrosées et abritées ainsi qu'à ses montagnes balayées de leur neige d'hiver par le chinook, cet endroit est vu comme une des meilleures régions d'élevage du continent. Après 1874, la police à cheval du Nord-Ouest fournit les deux éléments de base d'une industrie naissante d'élevage extensif : un petit marché local et la protection des pâturages libres. La police est bientôt rejointe par Joseph MacFarland, un frontalier américain d'origine irlandaise, et George Emerson, un ex-employé de la Compagnie de la baie d'Hudson, qui amènent de petits troupeaux du Montana. En même temps, dans la vallée de la rivière Bow, à l'ouest de Fort Calgary, George et John McDougall établissent un troupeau près de leur établissement à Morleyville (Morley, Alberta).
De nombreux policiers se joignent à la fraternité des éleveurs quand leur période d'engagement se termine, créant ainsi un noyau distinctif autour duquel l'industrie se développe, tout en favorisant l'émergence de son caractère social. L'orientation anglo-canadienne de l'élevage de la région est renforcée par l'arrivée d'Anglais attirés par la publicité importante faite en Angleterre sur l'élevage nord-américain de bovins. Ils se définissent eux-mêmes comme des gentlemen et viennent généralement de la classe des propriétaires terriens. Ils possèdent un capital suffisant pour établir leurs propres ranchs.
L'accès aux marchés éloignés est assuré quand le chemin de fer du Canadien Pacifique rejoint les Prairies au début des années 1880, faisant ainsi augmenter sérieusement l'intérêt pour l'élevage. Dirigés par le sénateur Matthew Cochrane, un éleveur et capitaliste de Montréal, les hommes d'affaires canadiens rivalisent pour obtenir les baux de pâturages fournis par le biais de la politique sur les terres fédérales. Le fait de pouvoir envoyer le boeuf de l'Ouest, élevé à peu de frais, sur le marché britannique en rapide expansion et de réaliser des profits au moment du boom du boeuf attire le sénateur Cochrane et d'autres. Cela les amène à organiser de grandes compagnies d'élevage qui dominent rapidement le milieu canadien : les ranch Cochrane, Bar U, Oxley et Walrond en Alberta, les ranchs 76, Hitchcock et Matador en Saskatchewan, et les ranch Douglas Lake, Gang et Empire Valley en Colombie-Britannique.
Toutefois, le chemin de fer apporte aussi la menace d'une colonisation générale avec son réseau de fils barbelés, particulièrement en Saskatchewan et en Alberta. Les grands éleveurs sont aussi déterminés à garder les cultivateurs en dehors des pâturages que ceux-ci le sont à y entrer. Finalement, le gouvernement cède à la demande irrépressible d'une colonisation générale : en 1892, les grands éleveurs reçoivent un préavis que, dans quatre ans, tous les anciens baux limitant l'entrée des homesteaders seront annulés.
Le bloc puissant des éleveurs soutient cependant que les régions d'élevage extensif sont trop sèches pour la culture des céréales. Reconnaissant que le pouvoir est aux mains de ceux qui contrôlent l'approvisionnement en eau, les éleveurs persuadent Ottawa de protéger l'industrie de l'élevage en transformant les principales sources, les rivières et les berges des ruisseaux en réserves publiques pour abreuver le cheptel. La plupart des lieux choisis deviennent alors inaccessibles à la colonisation et l'hégémonie des grands éleveurs continue.
Après l'élection des libéraux de Wilfrid Laurier (1896), les éleveurs font face à un gouvernement engagé à poursuivre une colonisation sans restrictions. Convaincus que les techniques d'agriculture en terre sèche surmonteront l'obstacle de la déficience en humidité, les libéraux commencent à mettre aux enchères le système complexe des réserves d'eau pour le bétail. La vive défense de la cause des grands éleveurs par les associations d'éleveurs ainsi que les forts marchés du boeuf ne font que ralentir le déclin de l'industrie. Bientôt en retraite complète devant la ruée des colons qui s'installent même sur les terres les plus pauvres du Sud de l'Alberta et de la Saskatchewan, la prééminence chancelante de l'élevage reçoit le coup de grâce de la nature. Tandis que les colons sont contents des années où les précipitations de pluie étaient au-dessus de la moyenne, l'hiver de 1906-1907 où l'habituel chinook ne souffle pas fait baisser le cheptel de milliers de têtes pour beaucoup de gros éleveurs.
La disparition des grandes compagnies d'élevage de l'Alberta et de la Saskatchewan donne la première place à une nouvelle génération de grands éleveurs locaux, dont A.E.Cross du ranch A7 et George Lane du ranch Bar U. En même temps, les origines américaines prédominantes des colons des terres sèches, combinées au poids de l'enrôlement lors la Première Guerre mondiale et aux pertes de la population anglo-canadienne, changent profondément le caractère social de la région des ranch.
Néanmoins, pendant la guerre, la chance des grands éleveurs commence à tourner : leur parti politique retrouve le pouvoir à Ottawa, les prix du boeuf sont en hausse et le retour d'un cycle sec fait décliner la colonisation dans la région. Une décennie plus tard, le déclin s'accélère et le départ de milliers de réfugiés à cause de la sécheresse, au cours des années 1930, est la preuve que les éleveurs ont été des pionniers et continueront de développer une entreprise particulièrement adaptée aux environnements semi-arides.
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