8.24.2012

LES ANIMAUX FACE À LA JUSTICE

Chien fornicateurs, cochon tueur, coq satanique... Ils risquent l'chafaud. Qui en veut aux animaux?

Dans l'Antiquité comme au Moyen Age, les procès de bêtes font grand bruit. Les penseurs s'interrogent: les animaux ont-ils une âme? Sont-ils nos égaux?


Sur le champ de foire de Falaise, en Normandie, tout le village se presse près de l'échafaud. Soudain une s'approche, la boue l'assassin du petit Jean: une jeune truie, habillée de vêtements d'homme. Face à la foule d'habitants et paysans - venus avec leurs cochons-, le bourreau lui coupe le groin et lui taillade une cuisse. Affublée d'un masque à figure humaine, la bête est ensuite pendue par les jarrets à une fourche de bois jusqu'à ce que mort s'ensuive. C'était en 1386. Si le cas de la truie de Falaise reste exceptionnel, par son travestissement en humain et la présence de congénères porcins, les procès d'animaux sont monnaie courante au Moyen Age.
Pas moins d'une soixantaine d'archives judiciaires, datées du XIII au XV siècle. ont été retrouvées. A l'époque,tout y passe: chat. chien, cheval, coq, mais aussi coléoptères ou dauphins... Car depuis longtemps déjà, l'homme s'interroge: l'animal est-il son égal? Est-il un être moral? A-t-il des droits, des devoirs ? Ces questions illustrent le rapport ambivalent que l'homme entretient avec l'animal, à la fois ennemi menaçant et fidèle compagnon de labeur.
Dès la Grèce antique, on juge tout cequientraîne la mort de l'homme, objets et animaux compris. "Le jugement sera conduit par les inspecteurs de la police rurale en nombre désigné par la famille, relate Platon dans "Les Lois". Si la bête est convaincue de crime, elle sera tuée et jetée hors des frontières du territoire". L'animal n'est pas pour autant considéré comme l'égal de l'homme. Ainsi,Aristote place l'animal bien en dessous de l'homme dans sa scala naturae,l'échelle des êtres. Quelques voix marginales se font cependant entendre, à l'image de Pythagore qui prône le végétarisme parce qu'il croit en la métempsycose, c'est-à-dire migration de l'âme dans un corps animal. Plutarque aussi rejette l'alimentation carnée, dénonçant la disproportion du tort causé (la mort de la bête) par rapport au bien visé (le plaisir culinaire). Le philosophe pose alors une question majeure:faut-il être doué de raison pour se voir reconnaître un statut moral?

SUR LE BANC DES ACCUSÉS

L'arrivée de la chrétienté va trancher le débat. Dieu ayant confié à l'homme la mission de prendre soin de la Création, ce dernier acquiert de fait un statut supérieur. Dès lors, il faut opposer le plus nettement possible l'homme. créé à l'image de Dieu, à la créature animale. soumise et imparfaite. "D'où les interdictions sans cesse répétées de se déguiser en animal, d'imiter son comportement, de le célébrer et plus encore, d'entretenir avec lui des relations coupables, depuis l'aftection excessive (...) jusqu'aux crimes les plus infames, tels ceux de sorcellerie ou de bestialité" explique l'historien Michel Pastoureau dans son essai "Les Animaux Celèbres".
Pour les crimes de zoophilie, on condamne à la fois l"homme et l"animal, qui finissent brûlés vifs; dans un sac avec les archives de l'instruction. "Comme dans l'Antiquité, l'animal est tué, non pas parce qu'il est jugé coupable. mais parce qu'il ne faut laisser aucune image du péché" explique Eric Baratay, professeur d'histoire à l'Université de Lyon et spécialiste de l'histoire des animaux. Le procès est d'abord vecu comme un acte de réparation ou de deuil. Mais dès le XIII siècle, des théologiens de la Sorbonne se questionnent: les animaux vont-ils au ciel? Peuvent-ils travailler le dimanche? Faut-il les traiter comme des êtres moralement responsables? Un second courant de pensée se développe alors, qui reconnaît l'existence d'une communauté des êtres vivants, tous créatures de Dieu. François d'Assise s'en fera le porte-parole, élevant les animaux au rang de "frères de l"homme". Contrepartie logique: l'animal doit être jugé comme un être moral, responsable de ses actes. Les procédures et les peines sont les mêmes que pour les hommes: l'animal est incarcéré, un avocat lui est commis d'office, le juge entend les témoins et la sentence lui est signifiée dans sa cellule.  Il arrive que le propriétaire de l'animal soit condamné à des frais financiers ou incité à accomplir un pèlerinage, mais en général la pert ede sa bête apparaît comme une peine suffisante. Bien souvent, il ne s'agit pas tant de punir un criminel que d'inspirer au public l'horreur du crime. Pas si loin des sentences actuelles concernant les chiens dangereux, outre le fait qu'aujourd'hui le maître risque la prison ferme s'il y a homicide. Les procès sont l'occasion de rappeler que la justice est exemplaire et concerne tout le monde. Ils permettent aussi de purifier.d'apaiser une société dont l'ordre établi a été mis à mal. L'historien des coutumes Jean Vartier parle même de "thérapeutique d'apaisement".

UNE MACHINE POUR L'HOMME

Au XVI siècle, les procès contre les animaux ravageurs se multiplient. la plupart du temps orchestrés par les religieux, qui dispensent ainsi des leçons de morale aux populations analphabètes. En 1516, par exemple, l'évêque de Troyes ordonne aux sauterelles qui ont envahi les vignes de Villenauxe de quitter son diocèse dans les six jours, faute de quoi elles seront excommuniées, tout en rappelant à ses ouailles de "s'abstenir d'aucuns crimes et payer sans fraude les dîmes accoustuméez". Même menace dans le diocèse de Valence en 1543 contre des limaces. En 1612, le pape Paul V autorise même à exorciser des dauphins decimant les bancs de poissons à Marseille. Les invasions de souris, charançons ou autres insectes sont alors ressenties comme des fléaux divins. On pense aussi que l'animal est un instrument manipulé par Dieu... ou le diable. A Bâle, en 1474, on condamne un coq au bûcher pour avoir pondu un oeuf. Sans jaune de surcroît.
L'oeuvre de Satan! Le sort réservé aux anguilles du lac Léman en Suisse, en 1221, reste un cas d'école.lnquiets de les voir proliférer et épuiser les ressources piscicoles, des pêcheurs intentent une action en justice. Défendues par un avocat, les anguilles obtiennent le droit de circuler dans une partie du lac. Au-delà, liberté est donnée aux pêcheurs de les exécuter. Les prémices des quotas de pêche... Au XVII siècle, la pensée cartésienne va de nouveau tout bousculer. Pour Descartes, les animaux ne pensent pas et sont en tout point comparables aux "machines mouvantes que l'industrie des hommes peut faire". Voici donc l'animal promu machine insensible. utilisable à volonté. "C'est l'effet de la revolution industriele, explique Eric Baratay. L'homme se sort du monde, se pense à part et dévalorise ce qui l'entoure pour pouvoir l'exploiter par la technique". Au XVIII siècle émerge aînsî la notion d'animal nuisible.  Si les ravageurs avaient au par avant une fonction religieuse, ils ne servent désormais à rien et doivent être exoerminés. L'animal vivant n'est utile que s'il peut être domestiqué. Les jardins d'acclimatation se développent pour tenter d'apprivoiser les bêtes les plus exotiques. Des voix divergentes s'affirment tout de même, à l'instar de Jean-Jacques qui voit en l'animal "un être sensible"que l'homme ne doit pas maltraiter in utilement. Une revendication qui n'empêche pas le perroquet du marquis de la Viefville de frôler la mort, lui qui, en 1789, continue de répéteren boucle "Vive le roi. Heureusement pour lui,le volatile apprend in extremis à crier "Vive la Révolution". Et il aurait eu tort de ne pas se mettre au pas, car les révolutionnaires, au nom de la défense de tous les opprimés, prennent aussi parti pour la cause animale, Les divertissements comme le jeu de l'oie, dont il faut arracher le cou, et les combats de coqs ou de chiens donnent lieu, dès 1790, à des dénonciations.  En 1793, la municipalité de Paris interdit l'accès de la ville aux petits montreurs d'animaux afin de bannir les images d'emprisonnement, Mais la vision cartésienne perdure et, si l'animal finit par se voir reconnaître des droits dans le code civil de 1804 puis dans le code pénal de 1810, cela ne se fait qu'en raison de son intérêt économique. Il devient alors un "bien meuble" relevant d'un patrimoine, donc d'un propriétaire.En 1865, à Fontainebleau, le juge Richard condamne un homme pour avoir posé de multiples pièges destinés à tuer les chats entrant sur sa demeure. Le juge estime que "les propriétaires d'animaux détruits" sont en droit de demander réparation,

LA LOI S'EN MÊLE

Il en va de même des origines de la SPA, Créée en 1845 par le Dr Etienne Pariset, la Société protectrice des animaux s'attache d'abord à résoudre les préoccupations du temps, Souci économique: le cheval de trait que l'on maltraite tant à Paris est un vrai gaspillage, bien le traiter permet d'améliorer son rendement souci hygiénique: le veau que l'on transporte dans des conditions atroces, ligoté et entassé, sans eau ni nourriture, peut donner une viande malsaine. On avance aussi un argument moral et pédagogique: limiter la violence faite aux animaux est une manière d'éduquer l'homme au pacifisme. Les débuts de la protection animale s'établissent ainsi sur des arguments très anthropocentriques. "La souffrance animale est également prise en compte. nuance Eric Baratay. Mais à l'époque, cet argument suscite encore de nombreuses oppositions. Il est donc peu mis en avant".  L'idée fait pourtant son chemin et le courant romantique et sensible esquissé à la Révolution s'amplifie sous l'impulsion d'hommes comme l'abbé Grégoire et Victor Schoelcher. grands militants de l'abolition de l'esclavage, ou encore l'écrivain Victor Hugo. On attribue à l'écrivain la phrase suivante: "L'enfer n'existe pas pour les animaux. ils y sont déjà". La première loi de protection animale, dite loi Grammont, est votée en 1850. Elle condamne tous les mauvais traitements infligés en public aux animaux domestiques. Mais qu'on ne s'y trompe pas: il s'agit avant tout de protéger la sensibilité humaine contre le spectacle de la souffrance des bêtes. Il faudra attendre plus d'un siècle pour que disparaisse l'exigence de maltraitance publique (décret de 1959). En 1963, une nouvelle loi instaure le délit d'acte de cruauté. Mais la première allusion à la qualité d'être sensible", n'apparaît légalement qu'en 1976.  On pense alors à étendre la protection animale aux espèces sauvages, mais uniquement celles maintenues en captivité.

ENFIN RESPECTÉS!

Le nouveau code pénal de 1992 marque une nouvelle étape en ne mêlant plus dans le même chapitre les infractions contre les animaux et celles contre les biens. Une distinction actée au plan européen: en 1997. un protocole somme les Etats de prendre en conpte "le respect des animaux en tant que créatures douées de sensibilité". Notre rapport aux animaux endit long sur notre propre humanité, notre capacité à faire preuve d'altruisme. Au I siècle de notre ère l'empereur romain Caligula se prend de passion pour son cheval Incitatus.Il élève pour lui un palais en marbre, au sol d'argent, dans lequel les mangeoires sont en nacre et en ivoire. Lorsqu'il est invité à la table impériale, le cheval déguste de l'avoine dont chaque grain a été doré. Ses boissons lui sont présentées dans des vases enor: vins fins, eau parfumée au miel... Peu à peu, Caligula sombre dans la folie, fuit assassiner sa propre famille et se brouille avec les grands patriciens.
Alors que grandit son mépris pour les notables, i1 envisage d'octroyer la fonction de consul à Incitatus. Il est assassiné avant de mener le projet à son terme. Plus chanceux, son cheval termine dans les écuries impériales. avec ses semblables.

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PORQUOI ON ADORE DÉTESTER LE COCHON?

Il n'a pas de chance, le porc. Dans l'Evangile de Marc, Jésus, alors qu'il exorcise un homme possédé, expulse l'esprit impur vers un troupeau de cochons qui se precipite d'une falaise. Mauvais présage. Au Moyen Age, l'animal est tenu responsable de la grande peste, parce qu'il est "sale" et qu'il transporte la vermine. On pend aussi des truies "criminelles" sur les grand-places des villes. Pourquoi tant de haine? Selon l'historien Michel Pastoureau qui s'est penché sur la question, on déteste le cochon  qu'il nous ressemble trop! Il est omnivore, comme nous, attrape les mêmes maladies (dont la grippe). Notre anatomie est similaire, au Moyen Age, alors que la mutilation du corps humain est interdite, on dissèque jusqu'à 500 portS par an dans les écoles de médecine. Si juifs et musulmans ne mangent pas de porc, ce serait aussi à cause de la ressemblance: manger du jambon, c'est avaler son semblable, devenir cannibale. Et ça, c'est tabou!

MARY L'ÉLÉPHANTE

Le seul pachyderme jamais pendu. En 1916, le soigneur de son cirque loi assène un violent coup de crochet L:éléphante lui écrase la tête avec sa patte. L'affaire est relayée par la presse américaine. Point de procès pour Mary, mais une bien macabre mascarade. Le directeur du cirque orchestre son exécution. Pendue par le cou à une grue, Mary meuit asphyxiée devant plus de 5.000 personnes venues assisterau "spectacle".


Par Karine Parquet et Cyrielle Le Moigne-Tolba dans le revue bimestrielle "Ça M'Interésse Histoire", France, n.14, septembre-octobre 2012, p.52-57. Dactylographiée, édité et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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