5.20.2016

COMMENT ON ÉLEVAIT LES ENFANTS AU MOYEN ÂGE



Le premier objectif de l'éducation est alors de façonner l'enfant à l'image de ses parents, moralement et physiquement.

Tandis que les Romains n'avaient que mépris pour l'enfant -cet animal privé de raison- et qu'ils disposaient d'un droit de vie ou de mort sur leur progéniture, la société féodale le regarde d'un oeil neuf. Voici venu le temps du sentiment de l'enfance et de l'amour parental! "L'amour de ceux qui élèvent les enfants croît à mesure que ceux-ci grandissent", écrit au XIII siècle, le pédagogue Philippe de Novare, dans 'Les Quatre Ages de l'homme', un traité didactique. Les moines se passionnent pour la puériculture. Horrifié par le sort fait aux enfants, saint Augustin, le père de l'Eglise, ne leur a-t-il pas montré la voie dès le V siècle en s'écriant à la fin de sa vie, dans 'La Cité de Dieu': "Qui donc ne reculerait d'horreur et ne choisirait la mort si on lui offrait le choix entre mourir et redevenir enfant?" C'est ainsi, nous dit l'historienne Danièle Alexandre-Bidon. que, pour la première fois dans l'Histoire. apparaît vers le XII siècle le sentiment d'une réalité propre de l'enfance.

On considère désormais que l'enfant est un être à part entière. "Une frêle plante qu'il faut arroser er protéger contre les mauvaises herbes", selon le pédagogue Jean de Gerson (XIV siècle). On lui reconnaît un statut spécifique, des besoins et des droits propres. Ainsi, aux trois âges de la vie hérités de l'Antiquité -l'enfance, l'âge viril et la vieillesse - , succède un modèle plus sophistiqué qui prend en compte les étapes de sa croissance jusqu'à l'âge d'homme. A chaque âge, ses qualités! Pour le médecin Albert le Grand (XIII siècle), fois dans l'Histoire. apparaît vers le XIIe siècle le sentiment d'une réalité propre de l'enfance. On considère désormais que l'enfant est un être à part entière. «Une frêle plante qu'il faut arroser er protéger contre les mauvaises herbes», selon le pédagogue Jean de Gerson (XIV' siècle). On lui reconnaît un statut spécifique, des besoins et des droits propres. Ainsi, aux trois âges de la vie hérités de l'Antiquité -l'enfance, l'âge viril et la vieillesse - , succède un modèle plus sophistiqué qui prend en compte les étapes de sa croissance jusqu'à l'âge d'homme. A chaque âge, ses qualités! Pour le médecin Albert le Grand (XIII siècle), le petit jusqu'à 4 ans est sous la dépendance de la Lune, l'astre des fous et des lunatiques, c'est l'âge de tous les dangers. De 4 à 14 ans, l'enfant passe sous la dépendance de Mercure, c'est l'âge des apprentissages. De 14 à 21 ans, à l'âge de la puberté, il est sous la dépendance de Vénus, la planète chamelle. Au-delà, il obéit au Soleil, c'est l'âge de la vie militaire.

La société, dominée par l'église, adopte la Sainte Famille comme modèle.

Concrètement, au Moyen Age, on distingue "la petite enfance" (elle-même divisée en deux phases : l'infantia, du latin infans, "qui ne parle pas"; et le temps des "dents plantées" ou dentum plantatura qui, dans l'esprit médiéval, génère la parole),"l'enfance" (pueritia) jusqu'à 7 ans, la "seconde enfance" jusqu'à 14 ans et enfin la "jeunesse" jusqu'à 28 ans. Ce nouveau découpage de la vie humaine donne lieu à de nombreux traités d'éducation qui se diffusent dans tous les milieux."Les enfants avant 7 ans ne pensent qu'àjeux et ébattements". explique l'encyclopédiste Barthélemy l'Anglais, au XIII siècle. Le précepteur royal Gilles de Rome prévient: "de l'âge de 7 ans jusqu'à 13 ans, les enfants ne doivent pas entreprendre de grands travaux, ni faire les oeuvres de chevalerie, pour que leur croissance ne soit pas empêchée". Dès lors, nul besoin de forcer la nature à coup de fénùe. D'ailleurs, de plus en plus de pédagogues prônent la douceur et la patience pour obtenir les meilleurs résultats. Dans une société dominée par l'Eglise, un modèle familial s'impose à tous: la Sainte Famille et l'Enfant Jésus, un idéal d'amour, de bonne éducation et de puériculture. Au XIII siècle, dans son traité 'Quand Jésus eut Douze Ans', le cistercien Aelred de Rievaulx fait de Jésus un enfant gâté et choyé par une mère dévouée. Au XIII siècle, Raymond Lulle, auteur de 'Doctrine d'Enfant', préconise de voir dans toute mère une Vierge à l'Enfant. Au XV siècle, l'Enfant Jésus a désormais les traits de n'importe quel bébé joufflu. Des représentations de plus en plus incarnées qui renforcent encore le sentiment de l'enfance dans la société médiévale. Résultat: les pères s'identifient à Joseph, un vrai  "papa poule", et les mères, à Marie, idéal de tendresse et de dévotion.

Le nouveau "pater familias" a désormais des devoirs envers sa progéniture

Dans les monastères, on ne parle plus que des "vertus de l'enfance". A la maison, le pater familias, qui jusqu'alors faisait trembler, s'investit de plus en plus. D'autant que, selon le professeur d'histoire du droit Jacques Mulliez. auteur d'"Histoire des Pères", on lui reconnaît désormais la paternité biologique: "est père celui qui a engendré des enfants légitimes dans le mariage" là où la paternité romaine ne reposait que sur "la volonté d'un homme de se constituer père". Aussi, face aux devoirs exclusifs des enfants envers leurs parents, pointent désormais de nouvelles obligations, celles des parents envers leur progéniture. Première d'entre elles, l'obligation de l'éduquer, et son revers, le péché de négligence, qui doit être confessé. Au père revient la responsabilité de transmettre à son fils ses qualités d'homme: courage, élégance, sévérité et piété. A la mère, celle de transmettre à sa fille ses qualités de femme: beauté, humilité et chasteté. L'éducation repose alors sur l'imitation du modèle et l'exemplarité. Selon l'historien Didier Lett, éduquer au Moyen Age, c'est produire du semblable, c'est-à-dire façonner le fils à l'image du père jusqu'à en faire, comme Adam, "L'expression du visage paternel". La ressemblance est alors le signe d'une éducation réussie. Cette théorie est au fondement même de la transmission et de la cohésion sociale dans la société chrétienne. Mais attention, chacun sa place! La société est alors divisée en trois ordres :ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. Une hiérarchie qui dicte l'objectif éducatif: produire du semblable, oui, mais pour maintenir chacun. de génération en génération, à la place qui lui a été assignée à la naissance.


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FAITS ET CROYANCES

9 choses à savoir sur l'éducation médiévale

1. Les vertus humaines se transmettent par le lait maternel.

La médecine hippocratique pense que les traits physiques et de caractère se transmettent à l'enfant par le lait maternel. Le prédicateur Bernardin de Sienne (1380-1444) écrit que le nourrisson prend les "coutumes" de celle qui l'allaite: "(...) ceux qui le nourrissent ayant de mauvaises moeurs ou un mauvais tempérament, il sucera avec le lait ce sang vicié, et quand il te reviendra à la maison, tu diras : 'Je ne sais de qui il tient, il ne ressemble à aucun de nous'." Dès lors, la nourrice doit être choisie avec le plus grand soin. D'autant que l'enfant du Moyen Age est allaité jusqu'à 2 ou 3 ans. Dans l'idéal, selon les nombreux traités de puériculture, elle doit avoir entre 25 et 30 ans, avoir bonne haleine, ne pas être sotte, triste ou coléreuse. Ne pas être enceinte. Avoir des seins ni trop petits ni trop gros pour ne pas déformer le nez de l'enfant. Vers 1256, le médecin Aldebrandin de Sienne conseille que la nourrice "ressemble à la mère le plus possible".

2. Porter du rouge tient le démon à distance des nouveaux-nés.

"Voir la couleur vermeille renforce le courage de l'homme", écrit au XIII siècle Raymond Lulle, auteur de traités sur l'enfance. Chez les enfants de la noblesse, on lie alors les langes du nouveau-né de bandelettes rouges, couleur du sang, pour lui donner la force de résister aux maladies et à la mort. Cette couleur du pouvoir est censée tenir à distance les épidémies, les accidents et. .. le démon. Les hommes du Moyen Age croient en effet que le diable peut enlever leur enfant à leur insu et lui substituer un petit monstre, le changelin ! Ce sont des créatures diabol iques qui se cachent sous les traits d'un nourrisson méchant, criard, lourd, effroyablement laid et réputé être un tueur de nourrices!

3. L'enfant doit être "modelé" pour refléter l'image de ses parents.

Au début du XIV siècle, Francesco da Barberino rapporte qu'une femme infidèle refaçonne la silhouette et le visage de son enfant illégitime pour le faire ressembler à son mari! Pour les parents du Moyen Age, éduquer, c'est forger le corps et l'esprit de son enfant. La pratique florentine du rifare consiste par exemple à attribuer au nouveau-né le prénom d'un parent regretté pour tenter de reproduire son âme à l'identique. Ainsi, dès sa naissance, le corps du nouveau-né est lit téra leme nt modelé. On masse la tête du nourrisson et on l'enserre dans un bonnet ou un bandeau. Puis, pour former et discipliner le corps, on l'emmail lote pour maintenir les bras le long du buste, les jambes droites et la tête dans le prolongement du tronc. On croit alors que si le corps pousse de travers, cela entraîne nécessairement un désordre de l'âme. A 7 ans, suivra le façonnage de 1'e sprit avec l'apprentissage du catéchisme et des bonnes manières!

4. ô puberté, ô danger!

Développement des organes sexuels, apparition du désir, tentation du péché de chair ... Les hommes du Moyen Age se méfient des enfants de 12 ans comme de la peste. Voici venu le temps de l'âge impur. "J'ai vu un tout petit ânon, doux et mignon, et j'étais dans l'admiration de voir son corps présenter tant de beauté ; mais cela dura peu : plus il devient grand, plus il devient laid; d'épaisses touffes de poils pendent de son front têtu, et l'on ne distingue même plus ses yeux.(...) Oh, si ceux-là pouvaient être fauchés par la mort avant leurs années de puberté (...)!" dit un sermon de Julien de Vézelay. L'Eglise, par la voix de ses prédicateurs, met en garde les parents d'enfants pubères. Il s'agit d'éviter alors que les fillettes ne deviennent des filles de joie ou que les garçons, frustrés par leur mariage tardif, ne violent, ne pratiquent l'inceste ou la sodomie. Autre péché gravissime: la masturbation. De l'invention d'instruments barbares au flicage des lits, tout est mis en oeuvre pour l'empêcher.

5. Grandir, c'est contrôler sa parole

"Ne sois pas prompt à la parole et inutile et indolent au travail. Avant de parler, apprends. Ne réponds pas avant d'avoir écouté. Au milieu des anciens, ne prolonge pas ton discours. Là où il y a des vieillards, parle peu. Ne répète point une parole méchante et dure, et tu n'en seras pas diminué", conseil le un clerc à son élève. Apprendre à parler, c'est apprendre à contrôler sa parole, martèlent nombre de traités pédagogiques. La parole enfantine est "folle, irréfléchie, immodérée". "Que nul ne dise secret à femme folle et enfant...", dit un fabliau. Chez de nombreux auteurs, ce n'est qu'à l'âge de raison (7 ans) que s'acquiert la parole sensée. Autant dire une étape majeure dans l'éducation des enfants. Au point que, si leur enfant parle mal, les parents, dès le XII siècle, se rendent en pèlerinage pour tenter d'obtenir un miracle.

6. Les ados sont encadrés dans des milices et sont adultes à 15 ans

Au XV siècle, se développent des confraternités de jeunesse, l'ancêtre du service militaire, qui ont pour mission de "conserver l'heureuse tranquillité du peuple" et de "gouverner honnêtement la jeunesse". Partout en Europe, les garçons de 14 ans sont embrigadés dans la défense des villes et armés jusqu'aux dents. Le rôle social des adolescents monte ainsi en puissance. Le temps est venu pour tout jeune de faire l'apprentissage de la vie adulte. Passé 15 ans, le jeune peut désormais plaider en justice, conclure une vente, être propriétaire, devenir chanoine, faire son entrée à l'université, rédiger un testament, se choisir une sépulture... Il est alors temps de perdre son pucelage pour les garçons. Et de se marier pour les filles, nous dit Jean de Gerson.

7. Des recettes gourmandes pour apprendre l'alphabet

En 1430, Matteo Palmieri, un riche marchand florentin, conseille aux mères du Moyen Age de former des lettres à l'aide de biscuits, de fruits ou d'autres aliments appréciés des enfants afin de leur facil iter l'apprentissage de l'alphabet. Nombre de ruses pédagogiques basées sur la gourmandise sont ainsi utilisées pour faire passer, par le jeu, les premiers rudiments de l'instruction. Joindre le geste à la parole, tel est l'un des préceptes éducatifs de cette époque.

8. "Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage"

Non, les éducateurs du Moyen Age n'étaient pas tous des brutes épaisses qui ne savaient manier que la férule! A partir du XlI siècle, de plus en plus de pédagogues préconisent au contraire la douceur et la patience dans l'éducation des plus jeunes. Ainsi, Barthélemy l'Anglais dit qu'il est inutile de frapper un enfant en dessous de l'âge de raison (7 ans), car le petit n'est pas encore en mesure de comprendre pourquoi il est puni et en tirer profit. De son côté, le médecin Aldebrandin de Sienne conseille aux parents d'engager un pédagogue qui ne fonde pas sa méthode éducative sur les coups.

9. Loin du cliché macho, le père médiéval assure avec les marmots

A chaque nouvelle naissance, dans les milieux populaires, le père n'hésite pas à assumer les tâches domestiques à la place de sa femme, celle-ci étant rendue impure par l'accouchement. La mère est alors contrainte par l'Eglise de garder le lit quarante jours après la naissance jusqu'à ses "relevailles" ou purification. Là, en l'absence d'un aîné, notre pater familias s'occupe de sa progéniture: il lange les enfants, prépare la bouillie, donne le bain, joue, surveille les plus petits... ! Les recherches récentes des médiévistes l'affirment: contre toute attente, le père au Moyen Age est bien plus proche du "papa poule" que du père Fouettard.

Par Manuela France dans "Ça M'Interésse Histoire", n. 16, janvier-février 2013, Paris, pp.36-41.  Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.


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