5.21.2016

LA VIE DE CHÂTEAU



Pour certains, mener la vie de château égale luxe et richesse étalés. Mais qu'en est-il réellement au début du Moyen Age, au temps des châteaux forts? Nos connaissances en la matière tendent à nous faire penser que la vie y était plutôt spartiate.

Comme la construction des châteaux forts est en hauteur; le plan se réduit à un quadrilatère d'assez faibles dimensions, correspondant à une grande pièce. Il y en a une seuJe par étage. Pas de cheminée et la cuisine (seul endroit où il y a du feu) est à l'extérieur!

Des locaux sinistres

Il faut attendre Je XI siècle pour que la cheminée fasse partie intégrante de la demeure du seigneur. Et encore, ces vastes foyers où l'on peut brûler des arbres entiers ne sont pas une panacée. Car, si l'on se réfugie devant, on est incommodé par la fumée et on a trop chaud. Mais, dès que l'on s'éloigne de l'âtre, il fait froid, humide et noir. En effet les fenêtres sont réduites. On comprend mieux pourquoi les dames se déplaçaient toujours avec une "couette", à la fois pour s'asseoir et pour se protéger des basses températures!

Le luxe est-il dans le mobilier? Une fois encore on fait fausse route. Le mobilier ne fait pas partie des signes extérieurs de richesse. Les seigneurs médiévaux restent les héritiers de barbares à demi nomades. Les meubles les encombrent. Le mobilier se limite au lit du seigneur, à quelques coffres où l'on range les richesses, à de rares sièges inconfortables réservés au maître de maison et à ses invités d'honneur, et à des bancs. Au moment de manger; les serviteurs apportent des tréteaux et des planches et l'on dresse la table simplement, sur des nappes.

Les arts de la table

C'est dans les coffres que les richesses se cachent puis sur la table qu'elles s'étalent. En effet, le seigneur et sa cour font de plantureux repas, pendant que le petit peuple des villes et des campagnes est confiné aux limites de la famine.

D'abondance, la littérature parle de ces festins: des cuisseaux de celfs, des chapons à la broche, des poissons grillés, du gibier d'eau et/ou du petit gibier terrestre, le tout abondamment épicé et servi sur une tranche de pain. Le poivre, le gingembre et le girofle représentent le summum de l'art culinaire. Il ne faut pas moins de dix plats pour rassasier les hôtes! En revanche, la vaisselle est sommaire: des écuelles et des coupes (ou hanaps) pour les boissons, des cuillers et des couteaux. On mange avec les doigts ou sur du pain, il y a des marmites ou des broches pour cuire, on sert sur des plateaux. On ne connaît ni l'assiette ni la fourchette.

Le repas commence

Des entremets sont alors servis. Entre divertissement et surprise, le pâté en croûte est farci de 28 musiciens! Le banquet continue tandis que les jongleurs font des tours, que les ménestrels jouent et que les convives boivent à satiété le vin vieux ou nouveau. Viennent les douceurs: gâteaux et fruits, certains venus du verger et les autres plus exotiques, comme les figues, les dattes, les noix de muscades. On sert aussi des fromages et d'étranges boissons, comme Je fameux "laituaire" (cité par Chrétien de Troyes) qui donne à celui qui ose le boire, l'envie de boire encore, toujours et jusqu'à plus soif.

Exagération délibérée des poètes? Souvenir lointain du festin des dieux tel que Je concevaient les Celtes? On est toujours dans l'expectative, car la littérature médiévale reste tributaire des traditions celtiques.

La chambre du seigneur et autres conforts

Le soir venu, le vin aidant, chacun regagne sa couche pour se reposer: Une chasse a été prévue pour le lendemain. Il faut se souvenir que le premier étage oomprend une chambre dans laquelle le seigneur reçoit et tient la cour de justice, et une autre chambre plus intime, où il invite ses proches et où il dort avec son épouse.

A une date plus tardive, il devient fréquent que l'accès au château se fasse par un vaste perron de plusieurs marches, qui sert à reoevoir les invités durant la belle saison et où le seigneur peut rendre la justice. Les diverses salles du château sont séparées les unes des autres par des tentures et n'ont de fonction définie qu'en raison de leur contenant. Ainsi, certaines pièces sont encombrées d'armes et d'armures. C'est là que les serviteurs entretiennent l'armement de leur maître et apportent celui des visiteurs. D'autres recèlent des étoffes dans des coffres et servent pour les travaux de couture. D'autres encore servent de dortoirs, soit pour les servantes, soit pour les hommes de garde, soit pour les jeunes filles du château, soit pour les damoiseaux. Le confort ne constitue pas une préoccupation majeure. La plupart des hommes et femmes qui vivent au château dorment sur des paillasses. Comme seul luxe, mais presque indispensable: des couvertures faites de fourrure.

Dans la chambre du maître, dont les murs sont ornés de peintures ou de tapisseries, se trouvent un lit large mais assez court - car on dormait à demi assis - , et des coffres. Le sol - lancher ou dallage - se recouvre de tapis ou de simples peaux de bêtes, ou encore de jonchées de fleurs. Contrairement aux époques suivantes, les hommes du Moyen Âge ont un souci de leur toilette. L'été, on se lave et on se baigne dans les rivières. L'hiver, une salle du château sert d'étuve. On peut y prendre des bains chauds et c'est là que se passent les accouchements et l'allaitement des nouveau-nés.

La cuisine

Pendant longtemps, la cuisine se fait à l'extérieur du château. Dans la cour est rassemblé tout ce qui peut servir à l'élaboration du repas: les greniers, les moulins, les fours, le puits, les enclos pour les animaux. Logiquement, la cuisine prend place dans cet univers, avec des foyers sommairement couverts. On est proche de la préhistoire! Puis la cheminée entre dans le château pour éclairer et chauffer les habitants. Et comme étape ultérieure, une salle va servir de cuisine. Les serviteurs n'ont plus à traverser la cour, les bras chargés de plats fumants, qui après un long chemin arrivent froids ou mouillés à la table de l'hôte.

Le verger

Le verger se situe à l'extérieur des remparts; il est souvent enclos de murs. On y trouve des pommiers, des poiriers et des fleurs plus ou moins sauvages. Selon le "Roman de la Rose", on y rencontre également de belles demoiselles et des roses, soigneusement gardées! Les dames viennent s'y reposer et les damoiseaux conter fleurette. Ainsi le verger devient le symbole d'une autre forteresse, celle de l'amour et de l'immortalité. Les vieux idéaux celtes y survivent sous des mots nouveaux. Le verger devient la porte du paradis.

La chasse

A l'extérieur du château, le principal divertissement reste la chasse qui constitue à la fois un appoint alimentaire et un divertissement sportif. Pour le seigneur; seule la chasse courre du chevreuil, du cerf, du sanglier ou du renard offre quelque intérêt. Elle se pratique à l'automne et à l'hiver et on élève, pour cela, des lévriers. Tout un rituel préside à la mise à mort de l'animal choisi. Dès l'aube, le maître-veneur s'attache à isoler une bête du reste du groupe. Puis les cavaliers et les chiens entrent en action, la poursuivant et l'encerclant jusqu'aux abois. Elle est alors achevée à l'épieu ou à la lance.

Les dames participent rarement aux chasses à courre. En revanche, elles élèvent des faucons ou des éperviers et les dressent à chasser. Cela permet de prendre de petits oiseaux dont la chair est prisée. Quand la chasse ou la guerre ne les occupent pas, les seigneurs trouvent le temps long, à l'abri des murs épais et tristement éclairés de leur donjon.

Les divertissements

A l'intérieur, les divertissements suivent les conseils et acoompagnent les festins. Ils peuvent durer trois heures et plus. L'entremet en constitue le raffinement le plus apprécié et les poètes se plaisent à le conter. Certains, "mouvants", consistent en saynètes jouées, illustrant la vie de héros, tel Jason. Seules les cours ducales et princières peuvent s'offrir le luxe d'entretenir, en permanence, des acteurs, des jongleus et des musiciens. Le plus souvent, un unique ménestrel se charge de divertir le maître de maison et l'on fait appel à des troubadours de passage qui viennent conter la "geste" (les aventures) d'un seigneur. Ainsi la "Chanson de Roland", racontée à quelques variantes près, pendant plusieurs siècles.

Les troubadours ou trouvères, qui allient la poésie à la musique de la vielle ou de la flûte, se montrent à la fin du festin. Leur art, hérité des bardes celtiques, paraît austère, soit qu'il chante des exploits guerriers, soit qu'il raconte l'impossible amour qui les lie à une dame. Parfois, ils osent lancer quelques chansons à boire. L'un des premiers troubadours connus est le comte Guillaume de Poitiers (XI siècle). Au début du Moyen Age, la plupart d'entre eux appartiennent à l'aristocratie. Citons l'étonnante aventure de Geoffroy Rudel, né sur les bords de la Garonne. Il voua sa vie et son oeuvre, à la comtesse de Tripoli, qu'il n'avait jamais vu, mais dont des pèlerins lui vantèrent la beauté.

Puis il finit par partir vers la Terre sainte et tomba malade aux portes de Tripoli. Ses compagnons allèrent raconter son histoire àla comtesse qui, touchée, vint réconforter le moribond. Il mourut dans ses bras et elle entra au couvent. Plus distrayants se révèlent les jongleurs et les montreurs d'animaux, dont les contorsions et les facéties dérident l'assemblée. Ils sautent par-dessus les convives, attirent l'attention du maître de maison et reçoivent quelques pièces comme écot.

La danse se développe surtout à partir du XIII siècle. Au début, il s'agit d'un spectacle que les seigneurs offrent aux combattants blessés lors des tournois. Des musiciens composent des rondeaux, des ballades ou des virelais. Puis le plaisir aidant, tous avancent, reculent, tournent en rond, de plus en plus vite, sur le rythme de la carole. Quand le seigneur a peu d'invités, les jeux de société prennent le relais: trictrac, marelles, et surtout les échecs et les dés. On pouvait y perdre sa fortune! Louis IX interdit d'ailleurs le jeu de dés, pour ces raisons. Grands et petits s'amusent à colin-maillard, avec des marionnettes. Mais le fin-du-fin, pour ceux qui savent écrire, se lit dans "les petits papiers". Sur un bout de parchemin, orné d'un ruban de couleur différente selon qu'il est destiné à un homme ou à une femme, chacun écrit quelques vers. On rassemble tous les parchemins et chacun en tire un au hasard.

Le tournoi

Le tournoi est le divertissement sportif, brutal et parfois même meurtrier. On ne compte plus les accidents! Il se pratique dans la cour du château, sous les remparts nes lices), quand le seigneur ne chasse pas ou ne guerroie pas. Seuls les ducs ou les comtes pouvaient s'offlir ce luxe, très ancien, et qui se codifie au cours du Moyen Âge. Les tournois sont organisés à l'occasion d'événements importants et donnent à chaque chevalier; la possibilité de montrer ses talents personnels et de se mesurer à ses pairs. De la brutale confrontation entre deux groupes, on passe à des tournois plus civils, à l'instigation de l'Église. Les armes deviennent "courtoises" (sans pointel et le chevalier se plaît à concourir pour les couleurs d'une dame.

La dame a un rôle important dans la société médiévale. Il ne se limite pas à aguicher chevaliers et poètes, comme voudrait nous le faire croire la littérature médiévale.

Le rôle de la dame

Certes, comme maîtresse de maison, elle apparaît dans les festins et se prête volontiers au jeu badin, tout à la fois chaste et passionné, des barons ou des ménestrels

Les amours de "Tristan et Yseult vont enflammer moult générations! L'amour courtois déguise d'ailleurs probablement une quête de l'immortalité, voisine du tantrisme oriental. Au quotidien, la dame gère la maisonnée, le château et les terres, si son seigneur et maître s'absente pour la guerre. La reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant, s'occupe parfaitement du duché de Normandie quand son époux se bat en Angleterre. Elle possède ses biens propres qu'elle apporte en dot, lors de son mariage.

Les comptes n'ont pas de secrets pour elle et souvent, la femme a une bonne connaissance des lettres et des arts ou du droit. Elle s'occupe des litiges, des rançons, mais elle échange volontiers de longues correspondances avec les seuls lettrés de l'époque, les abbés. Quand l'école devient une institution, il semblerait que les jeunes filles la fréquentent plus assidûment que les garçons, voués aux prouesses militaires. Son rôle maternel se borne souvent à mettre des enfants au monde, car ensuite, ils sont confiés à des nourrices et beaucoup meurent en bas âge. Sa tâche de gestionnaire prévaut, même si un régisseur l'aide.

La dame parfaite sait faire cinq parts de son budget, une pour les aumônes, une pow· les dépenses de maison, une autre pour payer la domesticité, une quatrième pour les bijoux et les robes et la dernère enfin, pour les présents. En effet, les seigneurs se doivent d'offrir les cadeaux les plus somptueux qu'ils peuvent concevoir à leurs invités. Pas une seule réception ne se déroule sans ces échanges entre gens de bonne compagnie.

Par Pierre Ripert dans "Actualité de l'Histoire", n. 8. mai 2012.  Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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