8.16.2016

DEFINITION DU GOÛT (1848)



Le goût est celui de nos sens qui nous met en relation avec les corps sapides, au moyen de la sensation quils exercent dans l’organe destiné à les apprécier.

Le goût, qui a pour excitateurs l’appétit, la faim et la soif, est la base de plusieurs opérations dont le résultat est que l'individu croît, se développe, se conserve et répare les pertes causées par les évaporations vitales.

Les corps organisés ne se nourrissent pas tous de la même manière; l’auteur delà création, également varié dans ses méthodes et sûr dans ses effets, leur a assigné divers modes de conservation.

Les végétaux, qui se trouvent au bas de l’échelle des êtres vivants, se nourrissent par des racines qui, implantées dans le sol natal, choisissent, par le jeu d’une mécanique particulière, les diverses substances qui ont la propriété de servir à leur croissance et à leur entretien.

En remontant un peu plus haut, on rencontre les corps doués de la vie animale, mais privés de locomotion; ils naissent dans un milieu qui favorisé leur existence, et des organes spéciaux en extraient tout es qui est nécessaire pour soutenir la portion de vie et de durée qui leur a été accordée ; ils ne cherchent pas leur nourriture, la nourriture vient les chercher.

Un autre mode a été fixé pour la conservation des animaux qui parcourent l'univers, et dont l'homme est sans contredit le plus parfait. Un instinct particulier l’avertit qu'il a besoin de se repaître; Il cherche, il saisit les objets dans lesquels il soupçonne la propriété d’apaiser ses besoins; il mange, se restaure, et parcourt ainsi, dans la vie, la carrière qui lui est assignée.

Le goût peut se considérer sous trois rapports:

Dans l’homme physique, c’est l'appareil au moyen duquel il apprécie les saveurs;

Considéré dans l'homme moral, c'est la sensation qu'excite, au centre commun , l'organe impressionné par un corps savoureux; enfin, considéré dans sa cause matérielle, le goût est la propriété qu’a un corps d'impressionner l'organe et de faire naître la sensation.

Le goût paraît avoir deux usages principaux:

1°. Il nous invite, par le plaisir, à réparer les pertes contnuelles que nous faisons par l’action de la vie;

2e. Il nous aide à choisir, parmi les diverses substances que la nature nous présente, celles qui nous sont propres à nous servir d’aliments.

Dans ce choix, le goût est puissamment aidé par l’odorat, comme nous le verrons plus tard; car on peut établir, comme maxime générale, que les substances nutritives ne sont repoussantes ni au goût ni à l'odorat.

Mécanique du Goût

Il n’ést pas facile cle déterminer précisément en quoi consiste l'organe du goût, il est plus compliqué qu’il ne paraît.

Certes, la langue joue un grand rôle dans le mécanisme de la dégustation ; car, considérée comme douée d-une force musculaire assez franche, elle sert à gâcher retourner pressurer et avaler les aliments.

De plus, au moyen des papilles plus ou moins nombreuses dont elle est parsemée, elle s’ imprégne des particules sapides et solubles des corps avec lesquels elle se trouve en contact ; mais tout cela ne suffit pàs, et plusieurs autres parties adjacentes concourent à compléter la sensation, savoir, les joues, le palais et surtout la fosse nasale sur laquelle les physiologistes n’ont peut-être pas assez insisté.

Les joues fournissent la salive, également nécessaire à là mastication et à la formation du bol alimentaire ; elles sont ainsi que le palais douées d’une portion de facultés appréciatives; je ne sais pas même si dans certains cas, les gencives n’y participent pas un peu ; et sans l’odoration qui s’opère dans l'arrière-bouche, la sensation du goût serait obtuse et tout à fait imparfaite.

Les personnes qui n’ont pas de langue, ou à qui elle a été coupée, ont encore assez bien la sensation du goût. Le premier cas se trouve dans tous les livres; le second m’a été assez bien expliqué par un pauvre diable auquel les Algériens avaient coupé la langue, pour le punir de ce qu’ avec quelques-uns de ses camarades de captivité, il avait formé  le projet de se sauver et de s'enfuir.

Cet homme, que je encontrai a Amsterdam ou il gagnait sa vie à faire des commissions, avait eu quelque éducation et on pouvait facilement s’entretenir avec lui par écrit.

Après avoir observé qu’on lui avait enlevé toute la partie antérieure de la langue jusqu’au filet, je lui demandai s’il trouvait encore quelque saveur à ce qu’ il mangeait, et si la sensation du goût avait survécu à l’opération cruelle qu’ il avait subie.

Il me répondit que ce qui le fatiguait le plus était dravaler ( ce qu’il ne faisait qu’avec quelque difficulté); qu’il avait assez bien conservé le goût ; qu’il appréciait comme les autres ce qui était un peu sapide; mais que les choses fortement acides ou amères lui causaient d'intolérables douleurs.

Il m’apprit encore que l’abscision de la langue était commune dans les royaumes d'Afrique; qu'on l'appliquait spécialement à ceux qu'on croyait avoir été chefs de quelque complot, et qu'on avait des instruments qui y étaient appropriés. J'aurais voulu qu'il m'en fît la description ; mais il me montra, à cet égard, une répugnance tellement douloureuse, que je n'insistai pas.

Je réfléchis sur ce qu'il me disait, et, remontant aux siècles d'ignorance, où l'on perçait et coupait la langue des blasphémateurs, - et à l'époque où ces lois avaient été faites, je me crus en droit de conclure quelles étaient d'origine africaine, et importés par le retour des croisés.

On a vu plus haut que la sensation du goût résidait principalement dans les papilles de la langue. Or, l'anatomie nous apprend que toutes les langues n'en sont pas également munies ; de sorte qu'il en est telle où l'on en trouve trois fois plus que dans telle autre. Cette circonstance explique pourquoi, de deux convives assis

La sensation du goût est une opération chimique qui se fait par voie humide, comme nous disions autrefois, c’est-à-dire qu’il faut que les molécules sapides soient dissoutes dans un fluide quelconque, pour pouvoir .ensuite êtres absorbées parles houppes nerveuses, papilles ou suçoirs, qui tapissent l’intérieur de l’appareil dégustateur.

Ce système, neuf ou non, est appuyé de preuves physiques et presque palpables.

L’eau pure ne cause point la sensation du goût, parce qu’elle ne contient aucune particule sapide. Dissolvez-y un grain de sel, quelques gouttes de vinaigre, la sensation aura lieu.

Les autres boissons, au contraire, nous impressionnent parce qu’elles ne sont autre chose que des solutions plus ou moins chargées de particules appréciables.

Vainement là bouche se remplirait-elle de particules divisées d'un corps insoluble, la langue éprouverait la sensation du toucher, et nullement celle du goût.

Quant aux corps solides et savoureux , il faut que les dents les divisent, que la salive et les autres fluides gustuels les imbibent, et que la langue les presse contre le palais pour en exprimer un suc qui, pour lors suffisamment chargé de sapidité, est apprécié par les papilles dégustatrices, qui délivrent au corps ainsi trituré le passe-port qui lui est nécessaire pour être admis dans l’estomac.

Ce système, qui recevra encore d’autres développements, répond sans effort aux principales questions qui peuvent se présenter.

Car, si on demande ce qu’on entend par corps sapides, on répond que c’est tout corps soluble et propre à être absorbé par l’organe du goût.

Et si on demande comment le corps sapide agit, on répond qu’il agit toutes les fois qu’ il se trouve dans un état de dissolution tel qu’il puisse pénétrer dans les cavités chargées de recevoir et de transmettre la sensation.

En un mot, rien de sapide que ce qui est déjà dissous ou prochainement soluble.


Par Brillat Savarin dans "Physiologie du Goût", Gabriel de Gonet Editeur, Paris, 1848, Meditation II, pp. 9-13.  Adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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