1.22.2018

RECETTES DE GRANDS-MÈRES


Dolma, karniyarik, fricassée de lambi, batbout... ces plats, rustiques ou élaborés, nous racontent la cuisine du monde. Les femmes sont souvent les ultimes gardiennes de cette gastronomie traditionnelle, qui cimente la famille et la communauté.


Un dialogue entre épices indiennes et arabes

Sur la p lus grande île de l'archipel tanzanien, Miraji Mussa Kheir, 56 ans, attend sa nièce. Chaque jour après l'école, celle-ci vient l'aider à préparer le dîner pour la famille, à même le sol. Cette grand-mère habite avec son mari et deux de ses trois filles dans la banlieue nord de la capitale zanzibari, à Bububu.

Pour ce soir, Miraji cuisine un plat inattendu et festif, proche des saveurs indiennes, associant mangue verte et épinards. Le barracuda, abondant sur l'île, sera frit et servi dans une assiette compartimentée, avant d'être mangé assis en cercle sur le tapis. A l'image du plat de Miraji Zanzibar est réputé pour sa gastronomie enrichie d'influences africaines, arabes et indiennes, plus exotique que celle de Tanzanie continentale. Dans cette île qui fut un ancien carrefour de la route des Epices, la cardamome, le clou de girofle, le cumin ou les piments donnent aux mets locaux un accent très relevé.



Un bol de riz à toute heure, heure au petit déjeuner

En Thaïlande, le verbe manger se dit "khin kao", soit, littéralement, "manger du riz". Inconcevable, donc, de servir un repas sans bol de riz, même au petit déjeuner. Boonlom Thongpor, 69 ans, a toujours vécu à Bangkok et le prépare de différentes manières, mais elle l'affectionne cuit à la vapeur; après l'avoir laissé tremper pendant une heure.

Difficile de la prendre en défaut sur la cuisine. Cette grand-mère d'une petite Mai a longtemps tenu un restaurant de rue. Très communs en Thaïlande, ils proposent des plats simples et rapides, à consommer debout ou sur de petits tabourets en bord de route. Cette omelette farcie au porc est un exemple typique de plat du quotidien, à manger avec fourchette et cuillère. Accompagnée de riz, elle peut suffire à un repas complet. Cependant, comme la tradition veut que l'on mange en groupe, elle sera de préférence servie au milieu de la table, à partager entre convives avec les autres mets. L"omelette peut même être dévorée en guise d'encas puisqu'en Thaïlande, on mange peu, mais on grignote beaucoup (jusqu'à cinq fois par jour) . Aujourd' hui le restaurant de Boonlom est géré par l'une de ses deux filles. Il y a désormais quatre tables carrées pour pouvoir manger assis et accompagné. Le prix moyen d'un repas est d'environ deux euros. Et bien sûr, l'omelette figure à la carte.



Tout l'Empire ottoman dans une feuille de vigne

C'est le plat préféré de quasiment toute la famille Grand-mère de quatre petits-enfants, Jenya Shalikashuili 58 ans, n'a jamais quitté l' Arménie. Elle avait 15 ans quand elle a appris à préparer les feuilles de vignes farcies. Depuis, elle en cuisine au moins quatre fois par semaine. Le dolma est un plat emblématique de l'Arménie, mais aussi de toute l'aire géographique autrefois couverte par l'Empire Ottoman. Avec quelques variantes dans la préparation et le goût, on en trouve en Grèce, Syrie, Egypte, Bulgarie, Algérie. Et bien sûr en Turquie, d'où il tire son nom, dolma, qui signifie farci. Ces préparations s'apprécient aussi bien froids et marinés dans l'huile d'olive avec du citron, que chauds. La plupart du temps, ils sont servis en apéritifs ou en entrée pour le dîner.

La culture culinaire arménienne, vieille de plusieurs millénaires et dispersée par la diaspora, est parvenue à préserver son caractère grâce à la transmission des recettes de mère à fille. En mitonnant les feuilles de vigne, Jenya pense particulièrement à ses petits-enfants. "Avant, ils ri en prenaient pas volontiers. Maintenant qu' ils ont grandi, ils en sont fous. Quand je sais qu' ils viennent dîner à la maison, je prépare deux versions différentes dont une dans laquelle je ne mets pas de poivre. Et è est le truc pour faire manger les enfants!"



Ses farcis valent bien une traversée du Bosphore

En Turquie, rêver de trois aubergines est la promesse d'un grand bonheur à venir. Est-ce pour leur fourrur matière à rêver que les Turcs cuisinent si souvent ce légume du soleil? Ils se vantent même d'avoir inventé mille recettes pour le mettre en valeur. L'aubergine farcie est un mets populaire et familial. Lors d'un dîner traditionnel elle sera servie en plat principal, après une série de mezze.

Le tout se doit d'être très copieux. Ayten Okgu, 76 ans, recommande d'en préparer deux par personne. Cette habitante d'Istanbul vit sur la rive orientale de la ville, dans un quartier calme de banlieue. Originaire d'Izmir, elle a vécu avec sa famille en Autriche entre l'âge de 10 et 20 ans, avant de rencontrer son mari et de retourner dans son pays natal.

Aujourd'hui, elle a deux filles et quatre petits-enfants, dont deux sont déjà majeurs. Ayten a trop peu l'occasion de leur préparer du karniyarik :  "Malheureusement je ne vois pas souvent mes petits-enfants. Ils vivent de l'autre côté du Bosphore, et pour leur rendre visite il me faut près de deux heures. Ils ne viennent jamais dans ce coin, les divertissements se trouvent au nord du détroit, du côté européen" A noter que dans un kamiyarik réalisé dans les règles de l'art, l'aubergine n'est pas coupée en deux mais fondue, d'où son surnom: "aubergine hara-kiri"!



Un mollusque créole qu'il faut savoir attendrir

Au fond de sa coquille rose irisée, le lambi est bien caché. Pour extraire ce gastéropode typiquement antillais de sa conque géante, il faut percer un trou et l'attraper prestement. Et avant de le cuisiner, mieux vaut garder de l'énergie car il faudra attendrir sa chair en la battant sur le sol. A 63 ans, Serette Charles n'attrape pas les lambis mais, si quelqu'un le fait pour elle, la grand-mère aime bien le préparer. Elle a dix enfants et quinze petits-enfants, et vit dans la campagne, près de Saint-Jean, à la pointe sud d'Haïti.

Sa maison se situe tout près de la mer où la pêche aux mollusques est courante. Pour rejoindre cette bonne cuisiillère, une heure de route poussiéreuse en 4x 4 et cinquante minutes de marche sont nécessaires. Serette n'a ni électricité ni approvisionnement en eau Elle cuisine avec du charbon et adore préparer le lambi. Avec une telle fricassée, le riz est incontournable Aliment de base en Haïti, il est cultivé sur l'île et accompagne la plupart des repas. La cuisine haïtienne utilise des épices pour rehausser le goût, des champignons locaux pour le colorer et, dans le sud en particulier, de la noix de coco pour la cuisson Le résultat : un plat recherché mais pas forcément réservé aux fêtes. Servi en abondance, il sera généralement le plat unique du repas, voire de la journée.

Par Ophélie Neiman dans "GEO - Voir Le Monde Autrement", Juillet 2012,  Nº 401, pp.65-71. Numérisée, adapté et illustré par Leopoldo Costa.

No comments:

Post a Comment

Thanks for your comments...