3.03.2011

VIANDE ET RELIGION : LA VACHE

Une vache promène un oeil placide sur la foule bigarrée arrêtée, attendant son bon vouloir pour poursuivre ses activités dans le bruit et les couleurs… Nous avons tous en mémoire mcette image de l’Inde déifiant ses vaches, leur accordant un statut d’animal protégé ne pouvant être tué ni consommé. Mais d’où vient cette adoration de tout un peuple pour ses ruminants?
Contrairement à l’Occident qui a toujours attribué à la vache une place purement alimentaire et dont les expressions mettant en scène notre ruminante sont somme toute assez peu flatteuses (il n’y a qu’à voir les «peaux de vache» ou les «coups de vache»), le sous-continent indien l’a
portée aux nues, voire placée sur un piédestal.

Hindouisme et origines

Religion et philosophie de plus de 800 millions d’hommes, l’hindouisme est né en Inde comme l’indique son nom. Ses origines sont relativement floues et ne peuvent être rattachées à un fondateur réel ou mythique. Les traces les plus anciennes de l’hindouisme remonte à environ 2000 ans avant notre ère, lorsque les Aryens, population originaire du Moyen-Orient et d’Iran, envahirent l’Inde du Nord via l’Himalaya. Ils découvrent dans le bassin de l’Indus des rituels locaux qu’ils vont développer et organiser en une religion nouvelle : l’hindouisme. Les textes sacrés sont regroupés dans divers recueils célèbres au style à la fois poétique et religieux qui aujourd’hui encore régissent la vie quotidienne de l’ensemble de la société indienne : les 4 Vedas, les Upanishads, les Puranas et la Bhagavad Gita. La base de l’hindouisme est caractérisé par la nécessité pour chaque homme de prendre «conscience de soi» de deux manières. Le soi individuel au sens propre (honnêteté, avidité, sincérité, cruauté, envie, hypocrisie, charité…) est conditionné par les passions des cinq sens. Il s’agit en quelque sorte de ce que nous appelons l’âme. Le soi universel symbolise la place et le rôle de l’homme dans le monde. L’hindouisme considère d’ailleurs que les homme sont en perpétuelle réincarnation et ne peuvent rien posséder. Cette religion accorde les mêmes qualités à certains animaux, dont la vache.

La vache et les dieux indiens

Précisons d’emblée que la vache en tant que telle n’existe pas en Inde. Ni normande, ni holstein, ni blonde d’Aquitaine n’y paissent et ce qu’on nomme usuellement vache sont des zébus ou bos indicus (mâles et femelles, cela va sans dire).
On parle souvent de millions de divinités qui se partagent le foisonnant panthéon indien mais nulle trace de vache parmi eux. En réalité, si la vache est sacrée, elle n’est pas déifiée et on ne trouve aucun temple en Inde qui lui soit consacré. Les textes sacrés hindous racontent que la vache a été créée par Brahmâ, divinité à l’origine du monde, le premier jour du mois de Vaishâkha (avril-mai), en même temps que le brahmane. Elle est donc aussi sacrée que lui et a la même valeur spirituelle. Cependant, elle est considérée comme l’animal de compagnie des dieux Krishna et Shiva. Krishna passa en effet son enfance au milieu des vaches et des chèvres, car il fut confié par ses parents à un couple de vachers. La légende raconte également qu’adolescent, Krishna séduisit plus de mille gôpis, filles de vachers dont nombre devinrent ses femmes. Divinité essentielle de l’hindouisme, dieu le plus vénéré d’Inde, Krishna est souvent représenté entouré de jeunes femmes, de vaches et jouant de la flûte. On le nomme également Venugopâla ou Maître des Vaches à la flûte. Dieu de la vie et de la mort, Shiva est très souvent représenté à côté de Nandi, le taureau qui est son animal-support et symbolise les forces terrestres et de procréation. Enfin, la tradition hindoue donne à la plus haute demeure céleste de Vishnu, Goloka, un nom dérivé de celui des bovins (la vache se dit go en sanscrit).

La valeur symbolique de la vache

Voici donc notre vache indienne en belle compagnie entourée de dieux importants de l’hindouisme. Mais quelle place a-t-elle exactement dans ce panthéon ? La plupart des indiens pensent que les vaches qui déambulent placidement dans leurs villes et villages ont la personnification de tous les dieux du panthéon indien et des centres de pèlerinage. Selon la légende, Surabhi, la mère de toutes les vaches, figurait parmi les trésors qui apparurent après le barattage de l’océan cosmique. Les vaches donnent cinq produits sacrés, ou pancagavya (le lait, le caillé, le beurre, l’urine et la bouse), qui jouent toujours un rôle essentiel dans la vie quotidienne de millions d’indiens. Le mélange de ces cinq éléments est considéré comme extrêmement purificateur pour l’âme et le corps, et nombreux sont les hindous qui l’absorbent. Bien que sacrée, la vache indienne possède un organe impur : sa bouche. Cela vient d’un mensonge qu’elle fit un jour lors d’une dispute entre Brahmâ et Shiva. Elle prit délibérément le parti de Brahmâ et mentit. Mais Shiva découvrit ce mensonge et déclara que, dorénavant, la vache serait sacrée mais que sa bouche serait éternellement impure. En dépit de cet anathème, les indiens ne consomment pas de langue de boeuf.

Les indiens et leurs vaches

Un hindou pieux ne passera jamais à côté d’une vache sans la toucher de sa main qu’il portera ensuite au front en signe de respect et d’hommage. Il n’est pas question non plus de frapper, d’insulter ni de tuer une vache. Il ne mangera pas non plus de sa chair car la vache et le boeuf étant sacrés pour les hindous de toutes castes, ce serait un acte de cannibalisme. En réalité, seule la bouse de vache indienne est réellement utilisée couramment. Les femelles zébus donnent en effet peu de lait, et la majorité des produits lactés consommés en Inde proviennent de bufflonnes ou de vaches importées d’origine étrangère. Quant les vaches et les boeufs décèdent, leur cuir est néanmoins utilisé mais il est tanné et traité par les intouchables qui seuls peuvent toucher et dépecer ces animaux sans crainte d’être définitivement condamné par un tel acte.

Une thèse hindoue iconoclaste

Tout était pour le mieux entre vaches et hindous jusqu’à ce qu’un illustre historien jette
un sabot dans la mare… Selon Dwijendra Narayan Jha, professeur d’histoire à l’université de New Delhi et spécialiste de l’Inde ancienne, les hindous auraient autrefois mangé de la viande de boeuf avant que les textes religieux et les coutumes ne l’interdisent. Pour démontrer cela, il s’appuie notamment sur les Manusmriti ou Lois de Manu, code juridique antique, qui dresse la liste des animaux qui peuvent être consommés. Le seul interdit concerne le chameau. Dans une phase ultérieure, les textes sacrés hindous parlent de «l’ancienne pratique» consistant à manger du boeuf. D’après D. N. Jha, ce seraient les brahmanes qui auraient petit à petit imposé cette interdit alimentaire afin d‘attribuer une place précise aux individus dans la hiérarchie sociale : celui qui mange du boeuf est un intouchable, un hors-caste. La vache fut donc consommée en Inde avant l’arrivée des musulmans. Bien entendu, cette théorie a soulevé de nombreux remous. La publication de l’ouvrage de Jha, Holy Cow – Beef in Indian Dietary Traditions (La vache sacrée – le boeuf dans la tradition alimentaire de l’Inde) a suscité des réactions violentes de la part des extrémistes hindous et l’auteur a reçu plusieurs fois des menaces de mort. De plus, un tribunal d’Hyderabad a interdit le livre. Il ne donc toujours pas bon défendre le rôti ou la côte de boeuf en Inde…

La théorie économique indienne de la vache

Nous allons profiter de ce tour d’Inde de la vache pour évoquer une dernière théorie qui explique l’interdiction hindoue de consommation de viande bovine grâce à l’économie. Les savants calculs de certains économistes ont montré que la vache est un élément essentiel de ’agriculture vivrière pratiquée dans les campagnes indiennes. Instrument de labour, la vache indienne se nourrit chichement de déchets de l’alimentation humaine et produit un combustible irremplaçable, la bouse. C’est grâce aux bouses séchées de leurs millions de vaches que les Indiens cuisinent leurs repas quotidiens faute de bois. La consommation des vaches entraînerait donc une pénurie de combustible et un drame économique pour des dizaine de millions d’indiens. Dans ce sous-continent à la pauvreté absolue, la bouse semble bien avoir sauvé la vache!
La vache sacrée indienne est donc le résultat de la religion, la tradition et des contraintes
sociales et économiques. Cela dit, les currys de boeuf figurent en bonne place dans nombre de restaurants indiens… Au pis soit qui mal y pense, les zébus nous feront encore longtemps les yeux doux !

In: http://zone51.darkambient.net/pimandtone/TSV/histoire/

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