5.19.2016

LES RITES MAÇONNIQUES


Toute relation maçonnique est régie par des rites et une symbolique spécifiques. Ils peuvent se révéler très simples, comme la fameuse poignée de main. Mais ils constituent surtout l'ensemble des rituels mis en action, dans un contexte initiatique hiérarchisé, en rapport avec un courant de pensée original. Il est une application de la tradition.

"LE RITUEL, EN CODIFIANT LES GESTES, LES MOTS, LES DÉPLACEMENTS ET EN STRUCTURANT LA PRISE DE PAROLE POUR PERMETTRE L'ÉCOUTE DE L'AUTRE, EST LA COLONNE VERTÉBRALE DE LA FRANC-MAÇONNERIE."
Antiochus (La démarche maçonnique)

René Guénon caractérise le rite comme un "symbole mis en action" ; Jean-Pierre Bayard, pour sa part, considère que "le rite véhicule l' énergie contenue dans un symbole, par sa puissance opérative, il transmet l'initiation"; Bernard Baudouin rappelle qu'il s'agit "d'un mot emprunté par la franc-maçonnerie au langage religieux, dès lors que des divergences de plus en plus nombreuses apparurent dans les us et les coutumes des obédiences maçonniques". En tout cas, c'est le vecteur de la tradition, mais aussi un stimulant psychique. Il permet de "vivre la tradition".

Les rites sont une partie essentielle de toutes les religions et sociétés secrètes, ils permettent l'hiérophanie, permanence de l'acte sacré. Le rite est un ensemble de paroles, de chants, de gestes, symboles et attitudes codifiés. Ils peuvent se ressembler tout en étant utilisés de façons différentes. Des rites peuvent se présenter de façon quasiment identique mais varier selon certains points, marcher à droite ou à gauche par exemple. Les créateurs de rites mettent en exergue telle ou telle partie de l'ensemble, cela étant justifié par la langue, les caractéristiques locales ou l'inspiration du créateur.

La transmission des initiations

Pour différents qu'ils soient dans le détail, les rites possèdent un fond commun : la transmission des initiations d'apprenti, de compagnon et de maître, selon une terminologie empruntée aux corporations médiévales ; le recours au travail de la pierre comme soutien symbolique, et une légende, celle de Hiram, propre au grade de maître, librement inspirée de la Bible. Cette succession obligée d'initiations illustre la leçon majeure de l'ordre maçonnique: la perfectibilité de l'homme. Elle incite l'adepte à entreprendre cette tâche qui ne peut qu'être inachevée.

Les rites pour les grades bleus

En quelques lignes, ces rites, en ce qui concerne les grades bleus (apprenti, compagnon et maître), peuvent être présentés comme suit :

* Rites (Workings) américains : établis aux États-Unis au XVIII siècle, ils ont conservé un caractère archaïque et opératif très marqué, leur symbolisme, basé sur les outils du métier, étant essentiellement consacré à enseigner un système de moralité. Ils sont empreints d'une atmosphère très biblique, d'inspiration protestante.

* Rite français: codifié en France en 1786, il ajoute au symbolisme opératif, hérité des Britanniques, des éléments chevaleresques, introduits par les premiers francs-maçons français qui, très souvent, appartenaient à la noblesse. Ces derniers, dès le discours du chevalier de Ramsay à Louis XV et à son ministre Fleury, ne voulurent pas se contenter d'origines ouvrières et créèrent de nouveaux rites basés sur des antécédents chevaleresques et templiers. De par son époque, il est marqué d'un christianisme tolérant, plus suggéré qu'affirmé.

* Rite écossais philosophique : apparu dans le Sud de la France vers 1774, c'est une variante du précédent.

* Rite écossais rectifié : établi à Lyon entre 1778 et 1788, il contient les mêmes éléments que le Rite français, mais en use pour communiquer les rudiments d'une doctrine philosophico-religieuse, celle de Martinez de Pasqually (1727-1774). Contrairement à une opinion répandue, les grades bleus sont déistes et non chrétiens.

Willermoz a donné une architecture à son système ou régime, en l'organisant en trois "classes" successives de plus en plus intérieures et en même temps de plus en plus secrètes, chaque classe étant inconnue de celle qui lui était extérieure. En outre, il a doublé le parcours initiatique de grade en grade par un enseignement doctrinal de plus en plus précis et explicite, au moyen "d'instructions" qui font partie intégrante du rituel de chaque grade.

Cette conception d'ensemble, architecture du régime et doctrine, a été officiellement approuvée en deux étapes. D'abord, sur le plan national, par le convent des Gaules, à Lyon (novembre-décembre 1778) lequel ratifia, entre autres, le code maçonnique des Loges réunies et rectifiées et le code de l'ordre des Chevaliers bienfaisants de la cité sainte, qui demeurent les textes constitutionnels toujours en vigueur du régime.

Puis, sur le plan européen, par le convent de Wilhelmsbad, en Allemagne (août-septembre 1782), tenu sous la présidence du duc Ferdinand de Brunswick-Lunebourg et du prince Charles de Hesse, principaux dirigeants de la Stricte Observance, qui se rallièrent à ce qu'on appelait à l'époque la "réforme de Lyon".

Dans sa structure d'origine, le Régime écossais rectifié comportait trois classes, deux ostensibles et une "secrète". La Classe symbolique ou ordre maçonnique, dans laquelle est conférée et conduite à son terme l'initiation maçonnique. Les trois grades pratiqués dans les loges de Saint-Jean, dites Loges bleues à cause de la couleur de leurs décors. Le grade de maître écossais de Saint-André, pratiqué dans les loges de Saint-André ou Loges écossaises, dites Loges vertes pour les mêmes raisons.

L'Ordre intérieur est un ordre de chevalerie chrétien, qui n'est en aucune façon assimilable ni à un système de hauts grades, ni à des grades philosophiques.

Selon les décisions prises au convent des Gaules et confirmées au convent de Wilhelmsbad, le Régime écossais rectifié se démarquant ainsi de la Stricte Observance avait renoncé à une filiation historique avec l'ordre du Temple, tout en conservant avec lui une filiation spirituelle, illustrée par l'adoption, au même convent, de la dénomination "chevaliers bienfaisants de la cité sainte", de façon à faire référence aux "pauvres chevaliers du Christ" des origines, et non à l'ordre riche et puissant que leurs successeurs étaient devenus dans la suite des temps.

Le Régime écossais rectifié a pour but de maintenir et de fortifier, dans les loges, les principes qui en sont à sa base, à savoir: le perfectionnement de soi-même par la pratique des vertus chrétiennes afin de vaincre ses passions, corriger ses défauts et progresser dans la voie de la réalisation spirituelle ; le dévouement à la patrie et le service d'autrui; la pratique constante d'une bienfaisance active et éclairée envers tous les hommes, quels que soient leurs races, leurs nationalités, leurs situations, leurs religions et leurs opinions politiques ou philosophiques.

* Rite écossais ancien et accepté :créé à Paris sous le Premier Empire, ses rituels sont un mélange d'influences angle-saxonnes et françaises. Il insiste sur la lecture alchimique du symbolisme traditionnel. La matière première de l'alchimie maçonnique est l'homme qui doit s'extraire de sa gangue d'impureté pour devenir un être humain "dans la plus belle acceptation du terme".

* Rite moderne (Belge) : variante simplifiée du Rite français, avec de nombreux emprunts aux Rites écossais. Héritier de la maçonnerie belge du XIX siècle, très universaliste, il est rédigé dans un langage actuel.

La franc-maçonnerie régulière

Elle est ainsi nommée parce que reconnue par les Anglais, et la légende maçonnique veut que la société ait été initialement créée en Écosse. Les précurseurs se veulent les seuls habilités à reconnaître si telle ou telle obédience est régulière ou non. Fondée sur l'application stricte des Constitutions d'Anderson. Ainsi, elle se veut la seule dépositaire de la maçonnerie originelle rituels des trois premiers degrés (apprenti, compagnon et maître). La Grande Loge unie d'Angleterre déclare en 1985 : "La franc-maçonnerie n'est pas une religion ni le remplacement d'une religion. Elle exige de ses membres la croyance en l'Être Suprême, mais ne fournit aucune méthode de foi par elle-même. Il n'y a pas de Dieu maçonnique. Un franc-maçon reste voué au dieu de la religion qu'il professe. Les enseignements moraux de la franc-maçonnerie sont acceptables par toutes les religions. Elle doit aussi être considérée comme un soutien de la religion". La Grande Loge de France a souvent demandé sa régularisation, mais ne l'a toujours pas obtenue.

Les rites des hauts grades

Certains rites ont senti, dès le début, le besoin de s'éloigner des origines "ouvrières" (opératives) de la franc-maçonnerie. Dès le fameux discours du chevalier de Ramsay:

"Nous voulons réunir tous les hommes d'un esprit éclairé, de moeurs douces et d'une humeur agréable, non seulement par l 'amour des beaux-arts, mais encore plus par les grands principes de vertu de science et de religion, où l'intérêt de la Confraternité devient celui du genre humain tout entier, où toutes les nations peuvent puiser des connaissances solides, et où tous les sujets de tous les royaumes peuvent apprendre àse chérir mutuellement sans renoncer à leur patrie. Nos ancêtres les croisés, rassemblés de toutes les parties de la chrétienté dans la terre sainte voulurent réunir ainsi dans une seule Confraternité les particuliers de toutes les nations. Quelle obligation n'a-t-on pas à ces hommes supérieurs, qui sans intérêts grossiers, sans même écouter l'envie naturelle de dominer ont imaginé un établissement, dont l'unique but est la réunion des esprits et des coeurs, pour les rendre meilleurs, et former, dans la suite des temps une nation toute spirituelle, où, sans déroger aux divers devoirs que la différence des États exige, on créera un peuple nouveau, qui étant composé de plusieurs nations les cimentera en quelque sorte par le lien de la vertu et de la science. La saine morale est la seconde disposition requise dans notre société. Les ordres religieux furent créés pour rendre les chrétiens parfaits; les ordres militaires pour inspirer l'amour de la vraie gloire ; et l'ordre des francs-maçons pour former des hommes aimables, de bons citoyens, de bons sujets, fidèles adorateurs du dieu de l'Amitié, plus amateurs de vertus que de récompenses."

Les hauts grades ou degrés de perfection forment une nouvelle hiérarchie au-delà du degré de maître. Leur but est de donner une formation initiatique complémentaire, afin d'accroître les connaissances de l'initié.

Au Rite écossais, on compte 30 degrés de hauts grades supplémentaires ; à celui de Memphis Misraïm, il peut y avoir 92 degrés supplémentaires; au Rite français, il n'y en a que quatre. Voici un extrait du plus ancien texte (1745) traitant d'un haut grade : "Les maîtres ordinaires s' assembleront avec les maîtres parfaits et irlandais trois mois après la Saint-Jean, les maîtres élus six mois après, les écossais neuf mois après eux et ceux pourvus de grades supérieurs quand ils le jugeront à propos." (Statut de la loge Saint-Jean de Jérusalem, Orient de Paris).

On le voit, les choses sont assez complexes. Les lites sont une organisation codifiée des cérémonies regroupant les gestes, les signes, les paroles, les symboles et les attitudes conventionnelles. Le lite maçonnique est issu des traditions antiques venues d'Égypte, de Grèce, du monde romain, de la Bible. Sur ce socle commun, se sont greffées les différences sus-citées ainsi que des particularités venues des cultes celtes et nordiques. Malgré toutes les différences de lites, le but des maçons reste le même : travailler avec les mêmes outils et les mêmes symboles au service de l'Homme.

Par Xavier Coadic dans "Actualité de L'Histoire", n. 9, juin 2012, Paris, pp. 49-54.  Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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