8.04.2016
LES CELTES - LA VIE QUOTIDIENNE
Les Celtes n’ont jamais eu d’Etat. Ils n’ont jamais été réunis sous une même autorité. Qu’avaient-ils donc en commun pour que les historiens considèrent qu’ils formaient un peuple ? Les mêmes coutumes, les mêmes moeurs. Dans le territoire qu’ils occupèrent à l’âge du fer, de la péninsule Ibérique à l’Anatolie, ils parlaient des langues similaires. Ils avaient les mêmes croyances et priaient les mêmes dieux. Enfin, les objets de leur vie quotidienne et leur façon de vivre étaient semblables.
L’HABITAT : DE LA FERME ISOLÉE AUX PREMIÈRES VILLES
Entre les VIIe et Ier siècles avant J-C, le mode de vie des Celtes a beaucoup évolué. Les fouilles de ces dernières décennies montrent pourtant, quel que soit l’époque, l’existence constante de fermes isolées. Il s’agissait d’une habitation et de bâtiments destinés à abriter des animaux ou de l’outillage, des greniers, des silos ou encore des ateliers. Le tout était clos et parfois protégé par des palissades. Ce mode de vie isolé «pourrait correspondre à l’affirmation d’une aristocratie qui, exploitant désormais directement une partie du territoire, ne résidait plus avec le gros de la communauté», estime l’historien français Venceslas Kruta (Les Celtes, éd. du Chêne, 2004). Preuve de l’aisance de ces familles, certaines de ces exploitations s’étendaient sur de vastes terrains. C’est le cas de la ferme de Drouzkovice en Bohême, découverte il y a quelques années, dont les palissades défensives entourent un territoire de 9 000 mètres carrés. Pour les familles les moins riches, la forme d’habitat la plus répandue, notamment à partir du IIIe siècle avant J.-C., est le hameau regroupant trois ou cinq familles. Celles-ci se partageaient les silos et les greniers et exploitaient les terres alentour. Les archéologues ont retrouvé dans ces bourgs des traces d’artisanat : métiers à tisser, forges, poteries. Ces activités vont se développer au siècle suivant dans les villages dont la vocation n’est plus agricole mais qui, situés aux carrefours d’axes de communication ou en bord de rivière, se consacrent au commerce.
Le véritable bouleversement du IIe siècle avant J.-C. est l’apparition des premiers signes d’urbanisme. Depuis la Bretagne jusqu’aux confins de la Hongrie se développent les oppidum. Même si ce terme recoupe des réalités variées, l’archéologue britannique Barry Cunliffe (Les Celtes, éd. Errance, 2006) les définit comme des «zones d’une superficie dépassant en général 10 hectares, enclose par une limite naturelle ou édifiée par l’homme, et où étaient assurées les fonctions sociales, religieuses et économiques». Ces premières villes étaient probablement le lieu de l’exercice d’une autorité régionale et les traces d’habitation y sont denses. Les maisons, entourées de palissades, étaient réparties le long de voiries et les fouilles attestent souvent de la présence de quartiers entiers consacrés à l’artisanat. Certaines de ces enceintes pouvaient atteindre des dimensions considérables. L’oppidum de Manching en Bavière s’étendait sur 380 hectares. Son enceinte de 7 kilomètres de long a dû nécessiter 60 tonnes de métal pour produire les tiges de fer qui reliaient les piquets de la palissade entre eux. Situées souvent à proximité des sources de matières premières, ces villes servaient probablement de centre de production pour un vaste arrière-pays. A la campagne ou dans ces centres urbains, il est difficile d’imaginer avec précision à quoi ressemblaient les maisons. Construites en bois et couvertes d’un toit de chaume, elles ne laissent comme traces que des trous dans le sol, à l’emplacement des poteaux de charpente. Ce que l’on sait avec certitude, estime le chercheur Olivier Buchsenschutz (L’Europe celtique à l’âge du fer, PUF, 2015), c’est que «leur dimension pouvait varier de la simple cabane au véritable palais».
L’ALIMENTATION : CÉRÉALES, LÉGUMES ET VIANDE DE CHIEN
Le paysage de l’âge du fer ressemblait à celui de nos campagnes : des prés, des bois et des pâturages à perte de vue. Ces champs, délimités par des talus ou des fossés, n’étaient pas très grands, environ 10 à 15 ares, «ce qui correspondait à l’étendue qui pouvait être labourée à l’araire [une charrue rudimentaire, NDLR] dans une journée», estime Venceslas Kruta. Les Celtes cultivaient essentiellement le blé qu’ils consommaient sous forme de pain, de galettes ou bouillies, mais aussi le seigle, l’avoine, le millet ou l’orge utilisé dans la préparation de la cervoise, l’ancêtre de la bière. Les grains étaient broyés manuellement ou à l’aide de meules. Des légumes tels que les carottes, le chou ou le navet complétaient ce régime. Mais l’assiette de nos ancêtres ne comprenait pas que des végétaux. On retrouve sur les sites des habitats des preuves de consommation de boeuf, de mouton ou de porc, mais aussi de cheval et de chien. «On trouve assez systématiquement des traces de consommation de chien dans les restes de banquets ou dans les offrandes funéraires aux défunts», explique l’archéologue français Patrice Méniel.
Des fouilles dans le village d’Acy-Romance (Ardennes) ont révélé que la viande consommée dépendait également du statut social. «De bons morceaux tels que des cuisses ou épaules d’agneau et des viandes appréciées comme le chien sont trouvés rejetés à côté des grandes maisons, poursuit Patrice Méniel, tandis que là où les habitations sont entassées les unes sur les autres, on retrouve plutôt des têtes de boeuf, des pieds de cochon ou du cheval.» Des traces de brûlure retrouvées sur les restes d’animaux laissent penser que les bêtes étaient grillées à la broche. Les archéologues ont effectivement retrouvé quelques-unes de ces broches, mais aussi des grils et des chaudrons en bronze avec leur crémaillère qui, d’après Olivier Buchsenschutz, «montrent l’association du bouilli, du grillé, du mijoté et du rôti». Ces gourmets savaient aussi préparer de la charcuterie et leurs salaisons de porc étaient exportées jusqu’en Italie. La chasse, en revanche, représentait à peine 1 % de la consommation de viande, pour l’essentiel du cerf et du lièvre. On sait aussi, grâce au témoignage du géographe grec Strabon au Ier siècle avant notre ère, que les Celtes étaient de grands consommateurs de lait et de fromage. Dans l’ensemble, un régime alimentaire bien équilibré.
LE BANQUET : UN RITE ESSENTIEL À LA VIE SOCIALE
Que ce soit à l’occasion des grandes fêtes religieuses, pour clôturer les rassemblements politiques ou encore pour célébrer naissances ou funérailles, ces agapes ponctuaient la vie sociale des élites. Le banquet était prétexte à affirmer son rang. A la fin du IIe siècle avant J.-C., le philosophe grec Posidonios d’Apamée décrit la mise en scène qui accompagnait ces rassemblements. Les convives étaient disposés en cercle, installés sur des litières de paille ou de branchages, le plus puissant d’entre eux occupant une position centrale. Les autres, en fonction de leur rang, étaient placés de part et d’autre. Si l’un d’entre eux se sentait humilié par la position qui lui était réservée, le conflit se réglait lors d’un combat devant toute l’assistance réunie, et la hiérarchie était ainsi redéfinie. Le découpage de la viande et la part attribuée à chacun était aussi fonction de son rang. Ainsi le «morceau du héros» récompensait le courage et les qualités du plus vaillant des guerriers, «et si d’aventure quelqu’un d’autre la réclamait, ils se levaient tous deux et se battaient à mort», décrit Posidonios.
Ces banquets étaient aussi l’occasion pour les plus riches de faire preuve de générosité. Le don répondait à un rituel bien établi et déterminait le statut : la distribution de richesses, de viande ou de vin asseyait la position des uns et des autres. Grassement rétribués, des louangeurs professionnels étaient présents pour vanter les mérites de leur protecteur et dénigrer leurs rivaux.
LE COMMERCE : LES ROUTES FAVORISENT LES ÉCHANGES
Dès lors qu’il s’agit de se procurer des biens, ni la distance ni les frontières naturelles ne semblent arrêter les Celtes. L’archéologie a mis en évidence l’existence d’échanges entre le nord et le sud des Alpes et ce, dès la période de Hallstatt (800 à 450 avant J.-C.). Dans les tombes princières du VIe et Ve siècle, on trouve des marchandises importées de Grèce et d’Italie : vases, récipients de bronze, amphores à vin. «Ces objets sont associés au rituel du banquet, qui est pratiqué par les élites», explique l’archéologue Olivier Buchsenschutz. Ils témoignent des échanges de produits de prestige entre les aristocraties des mondes celtes et méditerranéens.
Ce commerce encore limité va prendre une toute autre ampleur à partir du IIe siècle avant notre ère où, poursuit l’archéologue, «l’Europe celtique est entrée dans le marché international». Sur 1 600 sites fouillés, 123 000 amphores liées à la consommation du vin ont été retrouvées. A l’échelle régionale, les bijoux, les perles de verre, les armes, les céramiques sont diffusées à travers l’Europe et, progressivement, les particularités territoriales s’estompent. Des bracelets en lignite provenant du sud de l’Angleterre ont ainsi été retrouvés jusqu’en Suisse et en Bavière. La grande quantité de chars et de charrettes retrouvés sur les sites laisse penser que les routes et les chemins sillonnaient l’Europe, même si, pour le moment, l’archéologie peine à trouver les traces de ce réseau.
LA POLITIQUE : ENTRE ROYAUTÉ ET OLIGARCHIE
La Guerre des Gaules de César offre une description précise de l’organisation politique de la société gauloise au Ier siècle avant J.-C. Le territoire était constitué de puissantes confédérations de peuples, elles-mêmes unies par des institutions communes, les civitates. Ces confédérations étaient gouvernées collégialement lors d’assemblées réunissant les membres de différentes tribus. Chaque année, ces assemblées élisaient un «vergobret», sorte de «super druide» occupant les fonctions de magistrat. Ce vergobret était chargé d’administrer les affaires courantes et son pouvoir était fortement contrôlé. Ce type d’institution n’est pas propre à la Gaule, on en trouve également des traces au IIe siècle avant J.-C. chez les Boïens, des Celtes qui vivaient sur le territoire de l’actuelle Bratislava (capitale de la Slovaquie d’aujourd’hui). Malgré ses apparences démocratiques, cette organisation était fortement hiérarchisée et le pouvoir se trouvait aux mains d’un petit nombre de familles, les plus riches, autrement dit celles qui possédaient le plus grand cheptel. Le reste de la tribu se plaçait sous la protection et la dépendance de ces hommes puissants.
En revanche, la littérature celtique irlandaise du début de notre ère décrit une organisation clanique plus archaïque. Les clans, fondés sur des liens familiaux, étaient organisés en petites tribus qui se partageaient un territoire et étaient gouvernées par un roi. On comptait environ 150 de ces petites royautés en Irlande. Mais peut-être ne faut-il pas voir d’opposition dans ces deux modèles. Venceslas Kruta estime que «l’Irlande préchrétienne et la Gaule des oppidums représentent en fait deux étapes successives de la société celtique», et il est probable que la Gaule des VIe et Ve siècles avant J.-C. ait connu une organisation comparable à celle de l’Irlande.
LES FEMMES : GUERRIÈRES À L’ÉGAL DES HOMMES
Si l’on en croit les récits de César, mieux valait être femme en Gaule qu’à Rome. La femme celte ne semble effectivement pas être économiquement soumise à son époux. Dans La Guerre des Gaules, on apprend ainsi que lors du mariage les deux époux mettent leurs biens en commun et que le survivant hérite du capital. En Irlande également, la femme possède des droits comparables à l’homme et son degré d’indépendance est plutôt fonction de son rang social que de son statut de femme. Ainsi, décrit Venceslas Kruta, «une femme de condition noble pouvait posséder des biens en propre, intervenir dans le choix de son époux, s’en séparer, l’accompagner à la guerre et même combattre à ses côtés».
Les femmes guerrières sont très présentes dans la tradition irlandaise. On en trouve le souvenir dans la mythologie celtique où le héros Cuchulainn est initié aux secrets des arts de la guerre par des femmes. Celles-ci pouvaient aussi accéder à la royauté, comme Boudicca, reine des Icènes et chef de guerre qui combattit envahisseur romain ou encore de Cartimandua, reine des Brigantes, qui divorça de son époux pour épouser son écuyer. Sur le continent, on trouve également des sépultures féminines, probablement héritières de lignées royales, dont le mobilier prestigieux rivalise de luxe avec les grandes tombes des princes.
LE TEMPS : IL ÉTAIT COMPTÉ EN NOMBRE DE NUITS
Pour des peuples d’éleveurs et d’agriculteurs, savoir quand semer ou faire transhumer les troupeaux est essentiel. L’année celtique était rythmée par quatre grandes fêtes marquant le passage des saisons. Le 1 février sonnait le début du renouveau végétal et de la vie. C’est à ce moment que les troupeaux étaient conduits dans les pâturages d’altitude. On fêtait alors Imbolc, en l’honneur de Brigit, déesse de la Fertilité. Cette fête est encore aujourd’hui célébrée en Irlande. Venait ensuite Beltane, passage de la saison sombre à la saison claire, fêtée le 1er mai. Des feux de purification étaient allumés en l’honneur du dieu Belanos qui était censé protéger le bétail des épidémies. Suivait, le 1er août, Lugnasad, la fête des grandes assemblées. Des offrandes étaient faites au dieu Lug, divinité souterraine, afin d’assurer de bonnes récoltes. La plus importante de ces fêtes était Samain, le 1er novembre, qui marquait le début de l’année nouvelle. Elle était la plus dangereuse aussi, car les frontières avec le monde des morts se trouvaient abolies et les esprits pouvaient alors errer parmi les vivants. Son souvenir perdure encore dans les fêtes d’Halloween et de la Toussaint.
En dehors de ces grandes fêtes annuelles, les Celtes procédaient à un découpage très précis du temps. «Ils mesurent le temps, non pas en nombre de jours mais par celui des nuits», nous apprend Jules César dans sa Guerre des Gaules. Des calendriers gaulois ont été retrouvés. Le plus célèbre est celui de Coligny, dans l’Ain. Il s’agit d’un calendrier lunaire qui nous enseigne que, pour les Celtes, l’année durait 345 jours et se divisait en douze mois.
LA MORT : ILS CROYAIENT EN UNE ÂME IMMORTELLE
Au début de l’âge du fer, l’inhumation dominait les pratiques funéraires celtes. Les corps étaient ensevelis habillés et revêtus de parures qui reflétaient leur statut : le plus souvent des armes pour les hommes et des bijoux pour les femmes. Mais à partir du IIe siècle avant J.-C., l’incinération semble se répandre dans toute l’Europe sans que l’on puisse expliquer ce changement de pratique. Est-ce une résurgence des anciens rituels de l’âge du bronze ? L’influence des pratiques romaines ? Quoi qu’il en soit, les sépultures continuent d’offrir les mêmes mises en scène. Les plus riches de ces tombes, notamment les sépultures princières, se caractérisent par des chambres funéraires en rondins et même celle de chars d’apparat. On y trouve des objets en or, des amphores, de la vaisselle. Le tout disposé selon une logique qui échappe encore aux chercheurs. Autre caractéristique commune à l’ensemble des tombes celtiques, la présence de quartiers de viande. «Ces morceaux étaient arrangés de façon plus ou moins élaborée, au milieu de dépôts de céramique, explique l’archéologue, spécialiste de l’antiquité gauloise, Patrice Méniel. On les trouve positionnés de manière symétrique en Hongrie alors qu’au Luxembourg les morceaux tendent à reconstituer l’animal.»
Si les Celtes partent ainsi avec leur mobilier, de la nourriture, de l’argent et même un moyen de locomotion, c’est qu’ils croient que l’âme ne disparaît pas avec le corps. Le géographe romain Pompolius Mela en témoigne autour de 43 après J.-C. «Une de leurs doctrines s’est répandue dans le peuple, écrit-il, à savoir que les âmes sont immortelles et qu’il y a une autre vie chez les morts.»
Par Valérie Kubiak dans "Geo Histoire", n. 28, août-septembre 2016, France, pp.44-55. Adapté pour être posté par Leopoldo Costa.
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