12.02.2018

VRAI OU FAUX - LE PARANORMAL SOUS LES PROJECTEURS DE LA SCIENCE



Précognition, perception extrasensorielle, cristaux magiques, pouvoirs des guérisseurs... Les chercheurs n’hésitent plus à se frotter à ces sujets et leurs premières découvertes sont étonnantes!

En publiant l’année dernière ses résultats de recherche dans une revue de référence, le Journal of Personality and Social Psychology, Daryl J. Bem pensait-il provoquer tant de réactions négatives de la part de ses pairs? Ce professeur de psychologie de l’université Cornell n'avançait rien de moins que la preuve de l’existence de la précognition, c'est-à-dire la capacité à prédire « de futurs événements qui ne pourraient pas être anticipés par aucun processus inférentiel ».

DES PRÉMONITIONS AU-DELÀ DU HASARD.

Comment le chercheur s’y est-il pris? Il a d’abord placé les participants devant un écran d’ordinateur, celui-ci présentant deux rideaux. Derrière l’un d’eux se cache une photo, neutre (comme un paysage), négative (par exemple, une agression) ou érotique. Chaque participant doit deviner derrière quel rideau l’image va apparaître, après quoi l’ordinateur choisit lui-même au hasard la fenêtre par laquelle l’image est effectivement projetée. Le test est reproduit plusieurs dizaines de fois. Résultat? Quand les images sont neutres, les participants ne font pas mieux que le hasard, soit une réussite en moyenne pour deux essais. iMais avec des images érotiques, le taux de prémonitions exactes monte à 53,1 % en moyenne, soit un résultat valable d un point de vue statistique. Pour Daryl Bem, ces images ont donc une “influence rétroactive”.


UN EXEMPLE DE “PREUVE NÉGATIVE”. 

Tout en reconnaissant que 1 effet est très modeste, il estime que de nombreux effets aussi faibles sont régulièrement mis en évidence. Ce qui ne les empêche pas d’être pris au sérieux! Le chercheur anticipe également d’autres critiques, notant dans son article que les résultats de recherche en matière de paranormal dépendent aussi de lexpérirnentateur. Le fait d y croire tendrait à provoquer des résultats positifs, ce qui n'est pas le cas avec des expérimentateurs sceptiques.

Malgré ces précautions, les réactions n ont pas manque. Certains chercheurs ont souligné que les résultats étaient un exemple de “preuve négative”: si les explications scientifiques ne peuvent pas déterminer les causes, alors l'interprétation d’un phénomène comme étant paranormal s’impose. D’autres ont quant à eux rappelé que de nombreuses données n’avaient jamais été confirmées. Richard Wiseman, professeur de psychologie à l’université du Hcrtfordshirc, a d’ailleurs répliqué cette même étude, sans pour autant obtenir les mêmes résultats...

D’autres chercheurs n’ont pas eu peur de déclencher la controverse en mettant à l’épreuve de la science d’autres phénomènes paranormaux. Dans les pages suivantes, trois d’entre eux vous sont expliqués. Alors, véridiques ou pas?

Dans la ville de Grenade, El Santon de Baza est un guérisseur très recherché. Parmi ses multiples dons supposés, sa capacité à voir l’aura de son patient, ce champ lumineux formant un halo autour de lui et dont la gamme de couleurs serait associée à son état spirituel. Pour la première fois, des chercheurs ont mis en évidence les ressorts neurologiques de ce phénomène ésotérique. Il s agit de la synesthésie, qui provoque un télescopage sensoriel. Chez les synesthètes, les régions cérébrales qui traitent les informations provenant des cinq sens sont fortement connectées. Et les conséquences sont très diverses: voir les chiffres ou les lettres en couleur, associer la musique à une forme, ou plus rarement ressentir le goût d’un son. De nombreux artistes seraient synesthètes. Selon Emilio Gômez Milan, chercheur à l’université de Grenade, « le surplus d’informations sensorielles provoque, chez les synesthètes, un développement de l’intelligence intuitive et de la créativité ». Pour les chercheurs de l’université de Grenade, des guérisseurs capables de percevoir une supposée aura pourraient être synesthètes. El Santon de Baza présente en fait plusieurs facteurs prédisposants: une synesthésie de type personne-couleur, et une seconde de type contact-miroir - qui provoque chez le synesthète l’impression de ressentir les mêmes sensations, douleurs comprises, que la personne qu’il observe. Cette seconde forme, qui concernerait 1 % de la population, a été analysée plus spécifiquement par les chercheurs: elle est associée à un niveau d’empathie exceptionnellement élevé, des changements physiologiques en réaction à des scènes de douleur, une activation cérébrale du cortex somato-sensoriel et des ressentis de contagion émotionnelle. « Nous connaissons d’autres cas associant plusieurs formes de synesthésie, mais ces personnes ne sont pas ésotériques, précise Emilio Gômez Milan. Des traits de personnalité spécifiques, comme le fait de ressentir des limites floues entre réalité et imagination, sont nécessaires pour se croire doté de pouvoirs psychiques.»

L’ensemble de ces éléments explique sans doute pourquoi les patients d’El Santon de Baza se sentent si intimement compris. Si l’on ajoute la confiance du guérisseur en ses propres capacités, l'effet placebo a un terrain idéal pour s’exprimer. La synesthésie n’a donc rien d’un pouvoir extrasensoriel, et l’aura provient avant tout d’une perception spécifique de la réalité.

LES CRISTAUX ONT-ILS DES PROPRIETÉS SURNATURELLES?

Selon les croyances New Age, les cristaux minéraux sont chargés d'énergie mystique, aux propriétés permettant la guérison, la purification ou encore la méditation. Des croyances anciennes, puisqu’on en retrouve les traces dès les débuts de notre ère - par exemple chez le médecin Diasco- ride. Réduction du stress, stimulation de la créativité, amélioration de pouvoirs psychiques telle que la divination... On attribue ainsi de nombreux mérites à ccs pierres semi- précieuses et autres quartz. Même le pouvoir de contrer les ondes électromagnétiques des téléphones portables et autres ordinateurs de notre époque!

Comment expliquer une telle diversité d’effets positifs? Sans doute par un seul pouvoir, particulièrement puissant, mais qui n’a rien de surnaturel : celui de la suggestion. C’est cc qu’a découvert Christopher Frencli, chercheur spécialisé dans l’explication psychologique des phénomènes paranormaux au Goldsmiths College de Londres. Il a rassemblé 80 volontaires pour tester les effets de cristaux. Pour la moitié d’entre eux, le cristal qui leur est fourni provient d’un magasin spécialisé, tandis que les autres reçoivent une vulgaire copie. Tous, en revanche, pensent avoir en main un authentique cristal New Age. On leur donne également un livret présentant 10 sensations qu’ils pourraient expérimenter - picotements, sensations de chaleur, émotions, surcharge énergétique, impression de bien-être, activation de tous les niveaux de conscience, etc.

Christopher French n’a relevé aucune différence entre les deux groupes : que le cristal soit vrai ou faux, la plupart des participants rapportent des sensations tirées du livret - surtout la chaleur de la main et l’augmentation de la concentration. Moins de 10 % d’entre eux n’ont ressenti aucune sensation spéciale. Seule distinction: la tendance à rapporter des expériences sensorielles est plus marquée chez les “croyants” que chez les sceptiques. Pour le chercheur, une seule explication s’impose: le pouvoir des cristaux relève de la suggestion. Et ce puissant mécanisme psychologique serait au coeur d’autres phénomènes de croyance surnaturelle. « Le pouvoir de la suggestion est très important pour expliquer les phénomènes paranormaux, explique Christopher French. En effet la perception et la mémoire sont influencées par les croyances et les attentes. Certaines personnes sont plus sensibles à la suggestion, souvent du fait d’une imagination très vivante. Elles ont souvent une dimension très artistique et créative, mais sont aussi plus sujettes aux hallucinations et aux faux souvenirs. » Deux exemples d’erreurs concernant le traitement de la réalité, dans lequel le monde réel n’est pas dissocié des productions de l’esprit. Mais le chercheur rappelle que le caractère plausible d’un événement entre également en ligne de compte: « si une personne ne croyant pas au paranormal se souvient d’avoir volé comme Superman, elle aura tendance à l’attribuer à un rêve ou une hallucination. Si au contraire elle croit au surnaturel, elle va plus facilement décider que c’est un souvenir réel»

LA PERCEPTION EXTRA-SENSORIELLE EXIST-T-ELLE?

Télépathie, clairvoyance, précognition... Qu’il s’agisse d’échanges psychiques d’informations entre individus, ou de la connaissance d’un événement qui se produit à distance ou qui ne s’est pas encore réalisé, la perception extrasensorielle (PES) fascine. Rien qu’aux États-Unis, la moitié de la population est convaincue de la réalité de ce phénomène. Les neurosciences peuvent-elles leur apporter une confirmation. C’est ce qu’ont voulu découvrir deux chercheurs de l’université Harvard il y a quelques années, en partant d’un simple postulat: si la perception extrasensorielle existe, alors le cerveau devrait répondre différemment aux stimulations de type PES par rapport à d’autres stimulations.

Pour mettre leur hypothèse à l’épreuve, les chercheurs ont décidé de montrer des photographies aux participants (situation de stimulus non PES), ainsi que d’autres images qui étaient non seulement présentées visuellement, mais aussi de manière télépathique, clairvoyante et précognitive (situation de stimulus PES). Par exemple, pour la présentation télépathique, les chercheurs montraient les photographies à un proche du participant. Dans la condition de clairvoyance, les photographies étaient présentées sur un écran d’ordinateur placé loin des sujets.

Résultats? Les cerveaux des participants réagissent exactement de la même façon aux stimuli PES et non PES (voir FIRM, indiquant en haut les réponses aux stimuli PES et en bas celles aux stimuli présentés classiquement). Pour les chercheurs, cette étude est la première à apporter des éléments qui s’opposent à l’existence de la perception extrasensorielle. Pour autant, ils se gardent d’affirmer qu'elle n’existe pas...

SUPERSTITIONS - LES EFFETS POSITIFS DE LA PENSÉE MAGIQUE

Grigris, rituels, porte-bonheur... Nous sommes nombreux à adopter, fréquemment ou ponctuellement, des comportements superstitieux. Une attitude irrationnelle? Pas si l’on en croit plusieurs études récentes, qui soulignent leurs effets sur la performance physique ou cognitive.

Christophe Colomb aurait-il découvert l'Amérique s’il n'était pas parti un vendredi, son jour porte-bonheur? Et a-t-il sauvé son équipage d une mort certaine en jetant son jeu de cartes à la mer, pour calmer les éléments - ce type de jeu étant supposé, chez les marins, apporter malchance et risque d’intempéries à son possesseur ?

Si la plupart des superstitions trouvent leurs racines dans l’Antiquité et ont prospéré au cours des siècles suivants, elles n’ont pas disparu sous l’effet des Lumières ou des découvertes scientifiques. Certains domaines, comme le théâtre, sont toujours très marqués par les croyances et les rituels. Mais le grand publie n’échappe pas à leur pouvoir d’attraction : selon un sondage TNS Sofres réalisé en 2009, plus de quatre Français sur dix s’estiment superstitieux.

PLUS DE CONTRÔLE DANS L’INCERTITUDE. 

De nombreux chercheurs s’intéressent à ce sujet pour tenter de comprendre ce qui pousse à la superstition (voir l’entretien, page 26). Comme l’indique une étude récente menée par des chercheurs de l’université d’État du Kansas, il existerait trois raisons principales: obtenir davantage de contrôle face à une situation d’incertitude, atténuer un sentiment d’impuissance, et se rendre ainsi la vie plus facile en recourant aux superstitions plutôt qu’à des stratégies d’ajustement.

Et le fait d’occuper des fonctions élevées ou d’être une personne de premier plan dans son champ d’expertise ne semble pas prémunir contre cette tendance. « Les professions anxiogènes sont sans doute plus concernées », confirme Nicolas Roussiau, professeur de psychologie sociale à l’université de Nantes. John McCain, adversaire de Barack Obama à l’élection présidentielle américaine de 2008, est connu pour avoir en permanence avec lui une pièce de monnaie porte-bonheur. Ce qui n’a apparemment pas suffi à le faire élire... Le président réélu, quant à lui, ne manquerait jamais sa traditionnelle partie de basket avant une élection...

LES GRIGRIS, CLÉ DU SUCCÈS? 

Le monde des affaires n est pas en reste, comme le rappelle un article publié en 2011 sur le blog de la prestigieuse Harvard Business Review. 11 cite des exemples de jeunes entrepreneurs qui n’iraient pas signer un contrat sans porter leurs “chaussures de la chance” ou avoir au fond de la poche une pierre anti-mauvaises énergies. Mais c’est sans doute le milieu du sport professionnel qui est le plus connu pour ses comportements superstitieux. La fameuse bise rituelle de Laurent Blanc sur le crâne chauve de Fabien Barthez pendant le Mondial 98 a-t-il contribué au succès des Bleus? Michael Jordan aurait-il réalisé une telle carrière sans porter à chaque match son short de l’équipe universitaire sous la tenue des Chicago Bulls? Ce type de question peut sembler irrationnel. Pourtant, plusieurs travaux récents confirment les effets positifs des superstitions.

Des chercheurs de l’université de Virginie, aux États-Unis, ont découvert que la « contagion positive » pouvait améliorer la performance des golfeurs. Il s’agit d’une croyance selon laquelle les propriétés bénéfiques d’un objet seraient transférables entre leurs possesseurs. Pour l’étude, les chercheurs ont sélectionné un putter, le club qui sert pour frapper la balle sur des courtes distances. Pas n’importe lequel : il aurait appartenu à Ben Curtis, un pro reconnu pour la qualité de ses putts. Lorsque les participants, golfeurs amateurs, pensent avoir en main le putter mythique, ils ont l’impression que le trou est plus large qu’il n’est en réalité, et leur performance est améliorée - de 15 % en moyenne.

LES EFFETS DE LA CONFIANCE EN SOI. 

Le putter est-il vraiment doté de pouvoirs spéciaux ? Pour ceux qui seraient tentés de le croire, il faut préciser qu’il n’a jamais appartenu à Ben Curtis. Par contre, le simple fait de le croire a sans doute joué. « Nous n’en sommes pas encore sûrs, mais il est très probable que la contagion positive renforce la confiance en soi, avec des conséquences directes sur la performance », estime Dennis Proffitt, directeur du Perception Lab de l’université de Virginie. Une hypothèse qui rejoint les résultats d’une autre équipe de recherche.

Des chercheurs de l’université de Cologne ont d’abord proposé un jeu de dextérité et de rapidité à des étudiants: lancer 36 balles dans autant de trous en un minimum de temps. Les participants mettaient entre cinq et six minutes lorsque le top départ était lancé par un simple « go », alors qu’il leur fallait seulement trois minutes en moyenne quand le chercheur leur disait « je croise les doigts pour vous ». La performance dans des tests de mémoire est également meilleure, en moyenne, lorsque les participants ont conservé avec eux leur porte-bonheur. D’après leurs réponses à des questionnaires, le grigri n’a pas diminué leur anxiété à l’idée de passer ce test, mais leur a permis de se sentir plus en confiance. Une dernière expérience a montré également que la présence d’un grigri les incite à se donner des objectifs plus élevés.

UNE MEILLEURE PERFORMANCE DE GROUPE.

Plus optimistes, plus en confiance... Les superstitions peuvent donc pousser tout un chacun à se surpasser, tant d’un point de vue physique que cognitif. Et ces bénéfices ne semblent pas se limiter aux performances individuelles. D’après des travaux menés actuellement par Nicolas Roussiau, des groupes d’étudiants se révèlent meilleurs en résolution de problèmes, qu’il s’agisse de raisonnement ou de prise de décision, avec un bracelet brésilien porte-chance au poignet. « Et cela, que les étudiants croient ou non aux effets des grigris, précise le chercheur. Le fait de porter ce type de bracelet renforce sans doute un sentiment d’appartenance, avec un impact positif sur la performance de groupe. » .

Dans "Le Monde de L'Intelligence", décembre 2012/janvier 2013, n.28, France.  Numérisé et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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