De sa naissance à La Mecque à sa mort à Médine, le fondateur de l'islam ne fut pas seulement un chef spirituel, mais aussi un chef d'État et un chef de guerre. Il dut s'imposer aux siens, à d'autres prophètes et d'autres tribus... Et, à sa mort, s'installa une discorde qui dure encore aujourd'hui.
Naissance d'un prophète De source sûre, on ne connaît que la date de sa mort ainsi que quelques éléments de son enfance et de son adolescence. Pour le reste, il faut se fier à la Tradition... et à l'imagination des différents auteurs.
C'est à La Mecque, une ville commerciale et financière du Hedjaz, point d'eau planté au milieu de rocailles dénudées, qu'au vie siècle naît Mahomet. La Tradition fixe sa naissance à 570, l'année où La Mecque doit repousser l'attaque du vice-roi yéménite Abraha. À cette époque, alors que les Byzantins et les Perses essaient d'étendre leur domination sur la péninsule arabique, les Mecquois contrôlent la plus grande partie du commerce entre le Yémen, au sud, et la Syrie, au nord. Ils sont les maîtres d'une route de première importance puisque c'est par elle que transitent vers l'Occident l'encens de l'Arabie du Sud et les marchandises précieuses venues de l'Inde. La ville n'est pas très éloignée du port de Djedda en mer Rouge, et les Mecquois tiennent des points de passage stratégiques comme l'oasis d'al-Tâ'if, par où doivent obligatoirement passer les caravanes.
Depuis le ve siècle, la ville est dominée par la tribu des Quraysh, dont l'un des hommes, Qusayy a eu l'habilité de réunir en un seul sanctuaire les principales divinités des Arabes, notamment le dieu lune Hobal. D'après la Tradition, une première Kaaba (Maison de Dieu) aurait été édifiée par Adam avant qu'il ne soit chassé du Paradis.
Emportée par le Déluge, elle aurait été reconstruite par Abraham et Isma'il, le fils que le patriarche aurait eu de sa servante Agar. L'ange Gabriel lui-même aurait apporté la Pierre noire, probablement une météorite, particulièrement vénérée par les populations locales.
Les Quraysh qui se divisaient en de nombreux clans s'instituèrent gardiens du nouveau sanctuaire, décrété inviolable ; attirant de nombreux pèlerins, celui-ci leur assurait une aisance certaine.
D'après la Sîra, Mahomet était le fils d'Abdallah de la lignée des Hâshim ibn Abd Manâf. Son grand-père avait été le gardien de la source Zemzem, l'une des plus importantes de l'oasis, et avait pour mission de distribuer l'eau aux pèlerins, l'une des charges les plus prestigieuses de La Mecque.
Mais Mahomet est orphelin et il semble que le clan se soit considérablement appauvri quand son oncle Abu Talib en prit la direction. De son enfance et adolescence, quelques éléments semblent certains : son père serait mort à Yathrib (qui deviendra Médine) avant sa naissance, laissant sa famille dans une situation précaire.
Mahomet perd sa mère à l'âge de 7 ans : il est recueilli alors par son grand-père qui meurt deux ans plus tard. Son oncle Abu Talib, le père d'Ali, futur gendre et disciple de Mahomet, le prend alors en charge.
Voilà pour les faits, l'imagination des auteurs a fait le reste. La Tradition est riche en récits merveilleux qui tendent à démontrer la prédestination du Prophète. Ibn Ishaq raconte ainsi comment la mère de Mahomet le confia à une famille de Bédouins pour qu'il soit élevé au bon air du désert. Mais la nourrice décida de le rendre à sa mère le jour où, selon elle, « deux hommes en habits blancs le prirent, le jetèrent à terre, lui ouvrirent le corps et y fouillèrent des mains ». Des démons? Non pas. La mère de Mahomet rassure alors la bonne nourrice : « Quand j'étais enceinte de lui, une lumière se dégagea de moi et illumina pour moi les palais de Busra dans le pays de Syrie. Je n'aurais jamais imaginé une grossesse aussi légère et facile que celle-là ! À sa naissance, il mit les mains au sol et tourna la tête vers le ciel. » Ibn Ishaq raconte encore que, lors d'un voyage en Syrie avec son oncle, le jeune Mahomet rencontra un moine chrétien, Bahîrâ, qui le reconnut comme un être exceptionnel.
Toujours d'après la Tradition, vers l'âge de 25 ans, le jeune homme est repéré pour ses qualités morales par Khadîdja, une femme deux fois veuve et propriétaire de caravanes. Elle en fait son intendant puis son époux, lui confiant alors la gestion de ses intérêts comme le veut la coutume. Avait-elle 40 ans, comme l'affirme la Tradition? Elle lui donna sept enfants, trois garçons qui moururent en bas âge et quatre filles.
Le choc
Comment s'est passée la Révélation? Mahomet y était-il préparé? Rien dans les textes ne permet de reconstituer les longues années où, devenu un homme respecté grâce à un riche mariage, Mahomet se concentre sur sa vie familiale et ses affaires. C'est à 40 ans, d'après la Tradition, que le tranquille père de famille commence à avoir des visions. « Cela se fit en lui comme l'aurore », assure le traditionniste Az-Zuhrî, alias Ibn Shihâb. « Il avait besoin de solitude et se rendait dans une grotte à Hirâ pour se consacrer à des exercices de dévotion plusieurs nuits avant de retourner vers les siens [...]. À la fin, la Vérité arriva inopinément et dit : Ô Mahomet, tu es le Messager de Dieu. »
Toujours d'après Az-Zuhrî, l'élu ne vécut pas bien l'événement et chercha refuge auprès de son épouse. « J'avais été debout, mais je tombai à genoux ; puis je m'éloignai, les épaules tremblantes. Puis pénétrant dans la chambre de Khadîdja, je lui dis : Cache-moi, cache-moi, jusqu'à ce que la peur me quitte. »
Les premières révélations, nombreuses au départ, s'arrêtèrent un certain temps, et Mahomet connut une période d'abattement. « Il y eut pendant un certain temps un trou dans la révélation du Messager de Dieu (Dieu le bénisse et le protège) et il était très triste. Il partait de bonne heure pour les sommets de la montagne afin de se précipiter en bas. Mais à chaque fois, Gabriel lui apparaissait et disait : "Tu es le prophète de Dieu." Alors son inquiétude cessait et son moi revenait en lui. »
Le Prophète attendit trois ans avant de faire connaître ce qu'il avait appris : que le Jugement dernier était proche, qu'il n'y avait qu'un seul Dieu et que celui-ci appelait ceux qui croyaient en lui à la générosité et à aider les faibles.
Ses fidèles furent d'abord ses proches, les membres de son clan, et des hommes de plus ou moins bonne extraction, souvent des déshérités.
Du prophète au politique
« J'ai lu dans toutes les traditions qu'Abu Bakr, après sa conversion, tint sa foi secrète ; mais chaque fois qu'il se trouvait dans la mosquée à causer avec quelqu'un, il lui en parlait et l'engageait à l'islam ; il conduisait auprès du Prophète ceux qui acceptaient; et ils prononçaient la profession de foi », raconte Tabarî. Mais dans une ville où l'argent-roi provient du culte rendu aux idoles, et où les intrigues pour le pouvoir sont incessantes, son discours passe mal. Au sein de la classe dirigeante, on le prend d'abord pour un fou, puis pour un dangereux fauteur de troubles.
Rapidement, les railleries se transforment en menaces contre tous les convertis. « On disait dans les réunions de la mosquée, que Mahomet avait fondé une nouvelle religion, rapporte encore Tabarî. Abu Jahl fils de Hishàm parla ainsi : "Si j'apprends que quelqu'un a cru en lui, j'écraserai sa tête comme celle d'un serpent, et si je vois Mahomet venir à la Mosquée et adorer un autre objet que Hobal, je lui lancerai à la tête une pierre et ferai jaillir son cerveau." »
Dans cette société tribale où les intérêts sont intimement liés, l'hostilité devient insupportable. Son oncle qui avait autorité sur tous les Quraysh n'est plus reconnu que par les seuls hommes de son clan, les Banî Hashim Tous sont marginalisés. En 615, une partie d'entre eux choisit de s'expatrier en Éthiopie, avec la bénédiction du Prophète. « Allez en Abyssinie, dont les habitants sont chrétiens, possesseurs d'un livre sacré, et plus rapprochés des musulmans que les idolâtres » (Tabarî). Lui reste à La Mecque sous la protection d'Abu Talib avec Abu Bakr, Alî et Umar, les Compagnons des premiers jours.
Mais en 619, son oncle meurt, Khadîdja également. Le Prophète va alors prendre langue avec des tribus étrangères, notamment les gens de l'oasis de Yathrib, qui sont à la recherche d'un chef pour régler leurs querelles internes. En 622, les musulmans quittent La Mecque. Changement de cap dont le Coran est témoin dans sa structure même : les sourates courtes et inspirées des premières années vont se faire plus longues, plus pratiques. Mahomet était un prophète qui recevait les coups, il va devenir un politique qui portera le fer.
LE VOYAGE NOCTURNE: LA RENCONTRE AVEC ALLAH
Moment capital de la biographie du Prophète, cette ascension permet au réprouvé de La Mecque de voir Dieu et de s'entretenir seul à seul avec Lui.
Gloire à celui qui a transporté Son serviteur, la nuit, de la Mosquée sacrée à la Mosquée très éloignée autour de laquelle Nous avons mis Notre bénédiction, afin de lui faire voir certains de Nos signes... » Ce verset, le premier de la sourate XVII (Le Voyage nocturne), évoque le voyage de Mahomet de La Mecque à Jérusalem (Isrâ), puis son ascension dans les airs (Mi'râj) où il va voir Dieu.
Le Coran évoque souvent la possibilité d'une ascension, notamment par le biais d'une échelle, ce qui n'est pas sans rappeler celle de Jacob dans la Genèse (XXVIII, 12). Dans les versets 3 et 4 de la sourate LXX, Allah est appelé « le Maître des Degrés » vers lequel montent les anges et les esprits. Pour la Tradition, il ne fait aucun doute que dans cette sourate, le « Serviteur » est Mahomet, la « Mosquée sacrée », le complexe de la Kaaba et la « Mosquée très éloignée », la ville de Jérusalem.
Ce « Voyage nocturne » se serait déroulé le 27 du mois de rajab, en 620, un an après la disparition de sa femme, Khadîdja et d'Abu Talib, son oncle. Privé de ses meilleurs soutiens, le Prophète est en butte à une opposition de plus en plus violente des Quraysh. D'après Ibn Ishaq, il est réveillé une nuit par l'ange Gabriel qui le fait monter sur Buraq (« rapide comme l'éclair » en arabe), une monture « entre la mule et l'âne, ayant une tête de femme ».
Accompagné de l'ange, il s'envole alors vers Jérusalem, non sans diverses escales, au mont Sinaï pour saluer Moïse, à Bethléem pour voir Jésus et à Hébron, où Mahomet voit Abraham.
À leur arrivée, Gabriel rassemble tous les prophètes cités par la Bible, réunion qui consacre Mahomet comme l'ultime envoyé de Dieu. Ensuite, « grâce à une échelle de lumière », affirment certaines sources, Mahomet est élevé de ciel en ciel, sept au total. Il y rencontre des personnages de la Bible et du Nouveau Testament, - Adam, Joseph, Enoch Jean (Yaha), Jésus, etc. -, visite le paradis et l'enfer.
Enfin, arrivé à l'« horizon supérieur » et happé par une lumière mystérieuse, il s'approche du trône divin et peut contempler Allah lui-même, qui s'adresse à lui. Aucune créature, même Gabriel, n'a accès au secret de cet entretien. La Tradition dit pourtant qu'Allah impose alors aux fidèles musulmans cinquante prières par jour, nombre que, lors du voyage de retour de Mahomet, Moïse lui conseille de négocier à la baisse... Après plusieurs allers retours, le Prophète obtient finalement que les fidèles n'accomplissent que cinq prières par jour.
Rêve ou réalité ?
En combien de temps se fit ce périple? En un clin d'oeil, car pour la Tradition, toujours, Mahomet est capable, lors de son retour à La Mecque, de rattraper au vol avant qu'elle ne tombe à terre une cruche renversée lors de son départ.
.. A-t-il rêvé? A-t-il vraiment voyagé? Selon l'opinion musulmane la plus répandue, Mahomet monte au ciel physiquement et à l'état de veille, ce que confirme un hadith rapporté par Tabarî : « Alors que j'étais près de la Kaaba dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil... »
Cette hypothèse confirmerait la mission divine de Mahomet et l'utilisation de Buraq. En effet, pourquoi une monture, si seul l'esprit se déplace? Les lazzis des Mecquois Comme le souligne Mohammad Ali Amir-Moezzi dans son Dictionnaire du Coran (Robert Laffont), des philosophes et ésotéristes musulmans optèrent cependant pour un voyage uniquement spirituel.
Les penseurs soufis, quant à eux, estimèrent que cette expérience fut autant physique que spirituelle, mais que les saints musulmans qui sont les héritiers de Mahomet ne la connaissent que par la pensée.
Ce qui est sûr, c'est qu'à son retour, Mahomet tient à raconter son aventure, ce qui lui vaut les lazzis des Mecquois, qui le prennent pour un fou. Il faudra toute l'influence d'Abu Bakr, le seul d'abord à le croire, ce qui lui vaut de la part de Mahomet le surnom de Siddîq (« le Très Véridique »), et surtout une révélation du Coran pour dissiper les derniers doutes des croyants. Par la suite, les récits de l'Isrâ et du Mi'râj alimenteront l'imaginaire musulman... et chrétien. Ils entreront dans la littérature universelle au XIIIe siècle grâce au Livre de l'échelle de Mahomet, traduction en latin d'un texte castillan, lui-même traduit de l'arabe. Manuscrit dont s'inspirera Dante pour écrire sa Divine Comédie.
SA VRAIE DATE DE NAISSANCE?
« Cependant toutes les traditions sont unanimes sur les points suivants. Le Prophète vint au monde un lundi ; que le jour où, après la reconstruction de la Kaaba, lorsqu'il étajt âgé de 16 à 17 ans, il fut chargé de poser de sa main la Pierre noire à sa place, sur le mur du temple, était également un lundi ; qu'il s'enfuit de La Mecque vers Médine un lundi; qu'il arriva à Médine le lundi et qu'il mourut le lundi », assure le traditionniste Tabarî dans son Histoire des prophètes et des rois.
De fait, on ne connaît de source sûre que la date de sa mort, le 13 râbi 1er de l'an 2 de l'hégire, soit le 8 juin 632. Comme les sources anciennes assurent qu'il vécut dix ans à Médine et treize à La Mecque après le début de la Révélation, et qu'il avait alors.40 ans, il serait plutôt né en 569.
ANGE GABRIEL
Jibril, le « transmetteur » Familier et sublime, Gabriel (Jibril) occupe une place capitale en islam. Celui qui dans la Tradition chrétienne annonce à Zacharie et à la Vierge Marie la naissance de deux fils hors du commun, saint Jean-Baptiste et Jésus, est en islam le transmetteur du Coran. Les passages mecquois du texte ne font pourtant pas mention de son nom. Ils n'évoquent que des « anges », au pluriel. Son nom apparaît seulement dans des versets tardifs, d'origine médinoise.
Par Catherine Golliau dans "Le Point- Hors-Série", France, pp.16-22. Numérisé et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.
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