1.06.2019

L'AMOUR LIBRE EN MÉSOPOTAMIE



A côté de l’amour « asservi » aux besoins de la société, l’amour pratiqué pour son propre plaisir avait toute sa place.

En Mésopotamie, l’institution matrimoniale n’a pas suffi à épuiser toutes les possibilités amoureuses. On le voit à quantité d’« accidents de parcours », aventures ou drames conjugaux, signalés çà et là dans les manuels de casuistique jurisprudentielle, dans les pièces de procédure judiciaire et dans les traités divinatoires. On y trouve des hommes qui se jettent « en pleine rue » sur des femmes pour les séduire ou les violer ; ou qui couchent avec elles en secret, qu’elles soient mariées ou non, au risque d’être surpris par le mari, le père ou des témoins gênants. On y trouve des femmes courant la prétentaine et faisant jaser ; d’autres réputées « faciles » ; d’autres qui trompent leur époux moyennant les bons offices d’amies complaisantes ou d’entremetteuses ; d’autres encore qui abandonnent « jusqu’à huit fois » leur foyer, ou se font prostituées ; d’autres enfin quivont jusqu’à se débarrasser de leur mari encombrant en le dénonçant, en le faisant assassiner ou même en le trucidant de leur propre main…

Les dieux eux-mêmes n’échappaient pas à de telles mésaventures. Dans un mythe sumérien, le dieu Enlil épie la jeune déesse Ninlil, se jette sur elle, la viole et l’engrosse, si bien que les autres dieux, révoltés par cette méconduite, finissent par le bannir. Ce qui ne l’empêche pas de recommencer. Dans l’Épopée de Gilgamesh, la même déesse s’offre sans vergogne au héros revenu glorieux de son expédition dans la forêt des Cèdres ; mais celui-ci, ne tenant pas à tomber dans les pattes de la dévergondée, lui jette au visage la liste des nombreux amants qu’elle a tous abandonnés et maltraités après les avoir aimés.

Afin qu’il ne portât préjudice à personne, l’« amour libre » était assuré par des professionnels de l’un et l’autre sexe, exerçant ce que nous appellerions la prostitution, mais dont l’office était fortement coloré de religiosité. Non seulement ils prenaient part, ès qualités, à des cérémonies liturgiques, en particulier dans certains sanctuaires, mais on leur avait donné pour patronne et modèle la déesse appelée Inanna en sumérien, Ishtar en akkadien, la plus notoire du panthéon, où elle avait le titre de « hiérodule » : « prostituée surnaturelle ».

Faire l’amour était une activité naturelle.

Au nom de quoi se serait-on senti déchu, ou amoindri, ou coupable devant les dieux en le pratiquant de quelque manière que ce fût, pourvu, la chose va de soi dans une société aussi policée, que, le faisant, on ne portât nul préjudice à des tiers ou que l’on n’enfreignit pas un de ces interdits coutumiers qui quadrillaient la vie de chaque jour ? Par exemple, à tel ou tel jour de l’année (le 6 du mois de tashrît – septembre-octobre – pour n’en citer qu’un), il était déconseillé ou prohibé, nous ignorons pourquoi, de faire l’amour. Et encore : certaines femmes paraissant avoir été en quelque sorte « réservées » aux dieux, totalement ou en partie, c’était une faute grave que de coucher avec les premières ou de faire un enfant aux autres. Ces restrictions mises à part, la pratique de l’amour ne posait pas le moindre problème « de conscience », et les dieux en personne étaient tout prêts, pour peu qu’on le leur demandât selon les rites, à contribuer à sa réussite.

Il nous reste ainsi un certain nombre de prières et d’exercices dévots « pour [favoriser] l’amour d’un homme envers une femme », ou « d’une femme envers un homme », et même « d’un homme envers un homme » (bien que le symétrique attendu, « d’une femme envers une femme », ne figure pas dans la liste, nous savons que l’amour saphique n’était évidemment pas inconnu) ; d’autres « pour séduire une femme » ; d’autres « pour le cas où un homme ne serait point encore parvenu à coucher avec une femme » ; d’autres encore « pour qu’une femme se laisse séduire », etc.

(D’après Jean Bottéro, L’Histoire n° 63, janvier 1984.)

Dans "Les Collections de L'Histoire", juillet/septembre 2016, n.72, France, p.15.  Numérisé et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

No comments:

Post a Comment

Thanks for your comments...